Chapitre 11

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— Tu devrais être content de t'en tirer si bien, je ne comprends pas pourquoi tu fais la gueule.
Victor posa son verre et leva les yeux vers son ami, fallait-il vraiment qu'il lui explique ?
— Je ne fais pas la gueule, je suis en colère, c'est différent. Tu m'as sauvé la mise, Arnaud, c'est pour ça que je suis venu te remercier, mais le malade qui rôde autour de Clémentine continue tranquillement à foutre le bordel. Non seulement les flics n'ont pas la moindre idée de son identité mais en plus maintenant elle me croit coupable.
— Tu as vraiment merdé avec cette vidéo.
— Je sais. Mais je ne pouvais pas deviner qu'elle soit utilisée de cette façon contre moi, bon sang j'avais même oublié que je l'avais enregistrée !

La police avait fini par le relâcher grâce au témoignage de l'employé d'un abattoir qui était venu confesser avoir vendu le cœur de cheval à un homme qui n'était pas Victor, il était formel. C'est Arnaud qui avait retrouvé la trace de l'homme et l'avait convaincu d'aller témoigner, sans cela Victor aurait probablement été envoyé en préventive.
Depuis qu'il était sorti du commissariat il avait appelé maintes fois Clémentine, qui refusa de prendre ses appels. Mais voyant qu'il insistait elle avait fini par lui envoyer un message, manifestement à contre-cœur, lui expliquant qu'elle avait besoin d'être seule, ce qui ne rassura pas Victor. Même si la preuve avait été apportée qu'il n'était pas celui qui la harcelait, cette histoire de vidéo d'elle endormie lui restait en travers de la gorge. A court d'idées et lui-même déstabilisé il abdiqua et cessa de la contacter, non sans avoir fait une dernière tentative en se rendant directement chez elle, mais là encore elle avait refusé de l'écouter. Il n'avait pas été aidé par Christophe – qu'il ne s'était pas attendu à trouver chez Clémentine – qui prit fermement le parti de sa cliente et lui intima très vite de quitter les lieux. Sans l'avocat peut-être aurait-il eu une chance de se faire entendre.

Deux jours après ce revers il prit la direction de l'étang de Thau au bord duquel habitaient Arnaud et Flore. Il devait une fière chandelle à son ami et voulait encore le remercier de vive voix. De plus, il avait bien besoin de conseils, car il ne savait plus que faire pour aider Clémentine, qui vivait dans une angoisse permanente.
Finalement, alors que d'après son ami il devrait en profiter pour arrêter avec Clémentine – « cette femme t'a apporté assez d'emmerdes » furent les mots prononcés par Arnaud – Victor écouta attentivement l'opinion de Flore, qui n'était pas celle de son compagnon.
— Moi je pense que tu ne dois pas la laisser tomber maintenant, affirma-t-elle.
— Tu crois ?
Si avec Flore par le passé il avait eu des rapports compliqués, voire conflictuels, depuis qu'elle était tombée amoureuse de son meilleur ami – et réciproquement –, Victor s'était beaucoup rapproché d'elle. Ils avaient appris à se connaître, et, bon an, mal an, se considéraient maintenant comme amis, même si les engueulades étaient toujours fréquentes, mais ça, ils le devaient surtout à leurs caractères respectifs bien trempés.
— Tu sembles l'aimer vraiment.
— Oui, ça c'est sûr !
— Elle doit être complétement paumée, et puis c'est normal qu'elle t'en veuille, c'était vraiment débile de la filmer sans lui dire.
— Qu'est-ce que tu me conseilles, alors ?
Arnaud n'en crut pas ses oreilles, ça faisait plus de trente ans qu'il connaissait Victor, et jamais il ne l'avait vu douter en ce qui concerne la gente féminine. Stupéfait – mais aussi amusé –, il l'observa écouter Flore avec attention.
— Va la voir ! s'exclamait-elle. Fais-lui comprendre que tu veux bien lui laisser le temps qu'il lui faut pour digérer ce que tu lui as fait, mais dis-lui surtout que tu tiens toujours à elle. L'essentiel c'est que tu es innocenté, elle va finir par s'apercevoir que c'est ce qui compte, il faut qu'elle sache qu'à ce moment-là tu seras là si elle a besoin de toi.
— Tu as raison. De toute façon je garderai un œil sur elle tant que le malade n'est pas en prison, je ne supporterai pas qu'il lui fasse du mal.
— Vas-y mollo quand même, intervint Arnaud. Si elle ne veut plus te voir tu dois respecter son choix !
Victor ignora la remarque d'Arnaud et regarda sa montre. A l'heure qu'il était Clémentine n'avait plus cours, elle devait être chez elle. Il remercia Flore pour ses conseils avisés et s'en alla. Il était plus déterminé que jamais à se faire écouter de Clémentine. Arnaud avait beau dire, elle ne pouvait pas continuer à rester sourde à ses justifications, c'était inimaginable.

Mais contrairement à ce qu'il avait prévu, Clémentine n'était pas chez elle. A la place, il fut accueilli par Garance, qui ne sembla pas surprise de le voir. Victor regretta que l'adolescente ne soit pas plutôt chez son père, bien qu'étrangement elle le fit entrer dans l'appartement.
— Je cherche ta mère, annonça-t-il.
— Mince, je pensais qu'elle était peut-être avec vous.
— Comment ça ? Tu ne sais pas où elle est ?
— Non ! Ça fait deux jours qu'on n'a pas de nouvelles, Papa pense que je ne m'inquiète pour rien mais je commence à trouver ça chelou.
— Attends, attends, attends... qu'est-ce que tu es en train de dire ? s'inquiéta Victor. Elle a disparu ? Vous l'avez laissée seule ?
— Ça va ! La police est censée faire des rondes, qu'est-ce qu'on pouvait faire de plus ? Et vous étiez où, vous ?
La situation était étrange. Les deux étaient plantés au milieu du salon, sans vraiment savoir s'ils pouvaient se faire confiance. Sans Clémentine ils ne seraient probablement jamais rencontrés, et voilà qu'ils étaient liés par la même inquiétude chevillée au corps, à se balancer des reproches stériles. Garance le toisait avec animosité, comme une chatte prête à bondir, toutes griffes dehors. Victor décida de calmer le jeu, ça n'était pas dans son intérêt de s'écharper avec l'adolescente. Les pieds bien ancrés dans le sol, les mains sur les hanches, il l'apostropha avec autorité.
— Il faut qu'on cause tous les deux. C'est quoi ton problème avec moi ?
Elle hésita, et sembla même regretter de l'avoir fait entrer. Mais elle ne se défila pas, bien au contraire.
— Je sais pas, je vous sens pas. C'est quand même depuis qu'elle vous connaît qu'elle a des ennuis !
Victor dut reconnaître que la jeune fille avait du cran. Elle semblait presque le défier, mais il la trouvait bien sûre d'elle, et décida d'y aller cash.
— Ta mère, elle couche avec moi. Si j'ai envie d'elle il suffit que je l'appelle et elle accourt, donc crois-moi je n'ai pas de raison de la harceler.
— C'est dégueulasse de dire ça !
— Quoi ? Tu crois qu'on fait des parties de Scrabble quand on se voit ?
— Non, c'est bon, j'avais compris, je ne suis pas débile !
— C'est aussi mon avis. Je pense même que tu es une fille très intelligente. Alors réponds-moi franchement : est-ce que tu crois vraiment que c'est moi le coupable ?
— Non... Je sais que ce n'est pas vous. Maman était vraiment mal quand ils vous ont arrêté, elle a dit que ça ne vous ressemblerait pas de faire ça.
— Et tu l'as crue ?
— Ouais.
— Bon.
Garance baissa les yeux, ses épaules s'affaissèrent et la tigresse se transforma en petite fille en quête de sa maman. La bravade cachait en fait un gouffre d'incertitude. Victor la guida par le coude et s'assit à côté d'elle sur le canapé.
— Bon, répéta-t-il d'une voix plus douce. Qu'elle ne m'appelle pas, passe encore, je sais qu'elle doute de moi et je le regrette. Je tiens vraiment à elle, tu sais ? Mais à toi ce n'est pas normal qu'elle ne donne pas de nouvelles.
— Elle l'a déjà fait... Une fois elle est partie sans rien dire de la maison pendant deux jours, on était morts d'inquiétude ! C'est pour ça que Papa pense que je me fais des films. Mais je suis sûre que non. L'autre fois elle avait ses raisons et ne s'était pas rendu compte qu'on se ferait un sang d'encre. Elle a promis qu'elle ne recommencerait jamais !
Victor était aussi de cet avis, ce qui n'avait rien de rassurant. Il sortit son téléphone de sa poche et demanda son numéro à Garance. Il le composa immédiatement pour qu'elle ait aussi le sien.
— Tu m'appelles à la moindre nouvelle, d'accord ? Je vais passer au commissariat vérifier qu'ils prennent la situation au sérieux, même si je doute qu'ils fassent quoique ce soit ce soir. En attendant, ne reste pas seule ici cette nuit, retourne chez ton père, et essaie de te reposer.
Garance hocha docilement la tête, soulagée que quelqu'un prenne les choses en mains. Victor se garda bien de lui dire qu'il n'était pas plus serein qu'elle.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant