Chapitre 9

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— Pourquoi tu me fixes comme ça, j'ai quelque chose sur le visage ou quoi ?
Elle joignit le geste à la parole et passa sa main sur le bout de son nez pour chasser une poussière imaginaire.
— Je n'ai pas le droit de te regarder ? demanda-t-il. Si c'est le cas il ne fallait pas être si belle.
— Flatteur ! Allez, je sens que tu étais sur le point de dire quelque chose.
— Tu es sûre que tu veux savoir ? Ça ne va pas te plaire.
Elle hocha la tête sans hésiter, piquée par la curiosité.
— J'avais juste envie de te dire que je t'aime, énonça-t-il simplement.
— Oh.
— Tu ne te moques pas cette fois ?
— Non... Victor, je n'avais juste pas prévu ça. Quand on a commencé à flirter tous les deux, j'étais à mille lieues d'imaginer que tu puisses tomber amoureux de moi.
— Je sais, récita-t-il, tu voulais te distraire sans te prendre la tête. Pourtant tu es toujours là.
— C'est vrai. Tu n'es pas l'homme que je croyais que tu étais. Tu caches bien ton jeu, Victor Brunet. Mais...
Victor posa son index sur ses lèvres pour la faire taire.
— J'ai tout mon temps, dit-il simplement.
Il l'entendit murmurer un « merci » et il retira son doigt pour que sa bouche puisse se presser en douceur contre celle de Clémentine.
— J'aimerais t'emmener en balade en mer ce week-end, qu'en dis-tu ? Il va faire beau, on pourrait profiter du soleil, ne rien faire et boire du champagne. Tu seras officiellement divorcée, ça se fête ! Et puis, un peu de calme et de détente te ferais du bien, non ? Tu pourrais proposer à Garance de se joindre à nous, je n'ai pas l'impression qu'elle se soit fait une opinion très positive de ma personne, ça serait l'occasion de mieux faire connaissance.
— Je ne suis pas sûre que lui proposer de fêter mon divorce d'avec son père te fasse remonter dans son estime, mais cela mis à part c'est tentant, je lui proposerai !
— Et si elle ne veut pas, rien que toi et moi ça sera bien aussi.
— J'ai hâte d'y être alors, mais d'ici là j'appréhende le passage devant le juge, confia Clémentine.
— Allons, ce n'est qu'une formalité, je serai avec toi avant, et tu seras de retour ici juste après, et je serai toujours là. Tu n'as pas changé d'avis, tu ne veux toujours pas que je t'accompagne au tribunal ?
— Je ne crois vraiment pas que ça soit une bonne idée que tu croises Olivier.
— Certes, mais ça me rassurerait, avec l'autre taré qui te harcèle qui court toujours. D'ailleurs on se demande ce que foutent les flics... Ils t'en ont dit plus depuis la dernière fois ?
— Non, j'ai l'impression qu'ils n'ont pas trop de pistes. Après Olivier, Christophe a aussi été suspecté, visiblement celui qui fait ça essaie de faire accuser mes proches pour brouiller les pistes.
— C'était évident que ce n'était pas un amateur comme Luke, ils ont perdu du temps.
— Tu es injuste, Luke a fait des choses répréhensibles, c'est normal qu'ils l'aient rappelé à l'ordre. Mais arrête d'y penser, ou tu vas encore t'énerver ! Fais leur confiance, d'accord ? On ne peut rien faire d'autre que d'être patients. Et puis ne t'en fais pas pour demain, je serai en sécurité, Christophe sera tout le temps avec moi.
Le visage de Victor se tordit en une grimace qui fit rire Clémentine.
— Tu es jaloux !
— Je n'aime pas qu'il te tourne autour, s'il sent une ouverture il va te draguer !
— Tu ne me fais pas confiance ?
— Si ! C'est de lui que je doute ! Tous les hommes te veulent, j'en suis sûr, c'est insupportable !
Clémentine rit de plus belle.
— Mais moi, je n'ai que faire de tous les hommes, puisque je t'ai, toi. Donc tout va bien ?
De tout ce qu'elle lui avait dit, c'était ce qui ressemblait le plus à une déclaration d'amour. Victor la serra dans ses bras – ils étaient installés sur la banquette du pont arrière du yacht, leur refuge préféré – et elle se blottit contre sa poitrine. Oui, tout irait bien.

Le vendredi matin Clémentine se prépara de bonne heure. Victor, pourtant lève-tôt, ne l'avait pas entendue sortir du lit. Il se dépêcha de prendre sa douche, se passa un coup de peigne, et enfila à la hâte son costume habituel : pantalon bleu marine et chemise blanche. Il finit d'en boutonner les manches en sortant sur le pont.
Il trouva Clémentine appuyée contre le bastingage. Elle lui tournait le dos mais il devina qu'elle était songeuse, il connaissait suffisamment bien ses attitudes dorénavant pour remarquer qu'elle était aussi tendue. Il la rejoignit et dégagea les cheveux qui lui couvraient la nuque, puis déposa un baiser sur la peau nue. L'effet fut immédiat, elle décrocha un sourire et il sentit ses épaules se détendre.
Elle lui confia être inquiète, alors il dédramatisa en lui racontant son divorce épique d'avec Carla, qui, grâce à ses avocats américains, avait bien failli le ruiner. Heureusement il avait de la ressource et à l'époque il avait une coquette somme d'argent cachée au Liechtenstein sur laquelle son ex-épouse vénale n'avait pas réussi à mettre la main. Il en était fier mais Clémentine ne se montra pas tendre à son égard : elle désapprouvait fermement toutes ses activités en marge de la légalité, voire carrément frauduleuses.
Christophe arriva quelques minutes plus tard. Puisque c'était sur sa route, ils avaient convenu qu'il passerait prendre Clémentine pour se rendre au tribunal. Fidèle à lui-même, engoncé dans son costume taillé sur mesure et serviette à la main, il salua poliment Victor et fit la bise à Clémentine.
— Tu es prête ? Tu as le dossier du divorce ?
— Mince ! Il est à l'appartement ! s'exclama-t-elle.
— Ne t'en fais pas, en partant maintenant on a le temps de passer le chercher.
Clémentine se précipita à l'intérieur de la cabine récupérer son sac pour partir aussitôt. Victor en profita pour interpeller Christophe.
— Ne la laisse pas entrer seule dans l'appartement. Et faites attention en public.
— Bien évidemment, répondit l'avocat.

En milieu d'après-midi, Victor travaillait chez lui lorsqu'on frappa bruyamment à la porte. Ça ne pouvait être Clémentine, elle avait cours au lycée. En pensant à elle son ventre se tordit d'impatience, il bouillonnait plus que jamais. La perspective de leur week-end en bateau était tombée à l'eau, tout comme le divorce qui dût être ajourné, et pour cause : l'harceleur s'en était de nouveau pris à Clémentine. Cette fois il avait retourné son appartement, qu'avec Christophe ils avaient trouvé sens dessus dessous le matin en allant chercher le dossier qui leur manquait. Les coussins étaient éventrés, les cadres brisés, les étagères renversées. Rien n'avait été volé, ce qui confirmait – si le moindre doute subsistait – qu'ils avaient affaire à un pervers nourrissant une obsession amoureuse pour sa victime.
Il ouvrit néanmoins sans se méfier, mais déchanta dès qu'il aperçut une horde de policiers en uniforme postés devant la porte. Qu'est-ce que j'ai fait, encore ? La capitaine, encadrée de ses sbires, ne tergiversa pas.
— Monsieur Brunet ? Je vais vous demander de me suivre au commissariat s'il-vous-plaît, j'ai quelques questions à vous poser.
— Pourquoi ? De quoi vous m'accusez ?
La réponse fusa, lapidaire :
— D'avoir saccagé l'appartement de votre maîtresse Clémentine Doucet et de la harceler depuis des semaines.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant