La vendeuse – Emilie, elle s'était présentée quand ils étaient arrivés – était à genoux aux pieds d'Arnaud, et ajustait les épingles dans le bas du pantalon bleu marine en prévision de l'ourlet à coudre. Après de multiples essayages il avait jeté son dévolu sur un costume cintré qui convenait à son allure élancée et siérait parfaitement à son statut de marié. Le gilet et la veste qu'il enfilerait par-dessus une délicate chemise blanche étaient de la même étoffe que le pantalon, la seule originalité viendrait du nœud papillon aux mêmes motifs floraux – bleus également – que la poche intérieure de la veste.
Victor était assis dans un des fauteuils du salon d'essayage et regardait passivement les mains expertes d'Emilie faire les derniers ajustements. Il avait donné son avis sur chaque proposition et se portait garant du résultat final qu'il photographia. En sa qualité de témoin il s'assurerait que son homologue du côté de la mariée – Bart, le fils de Flore – en recevrait une copie afin d'éviter toute faute d'accord lors des essayages de celle-ci. Flore ne souhaitait pas des noces aussi grandioses que ses premières – ils ne se marieraient pas à l'église – mais accordait tout de même une importance capitale à sa toilette et tenait à ce qu'Arnaud ne la découvre pas avant le jour J, comme l'exigeait la tradition.
Alors que le futur époux en était à choisir la ceinture qui viendrait parfaire sa tenue, le téléphone de Victor se mit à vibrer dans sa main. Il lâcha un « Oh Putain ! » qui firent se retourner à la fois Arnaud et Emilie.
— Pardon ! s'excusa-t-il aussitôt face à leurs mines ébahies. Il faut que je prenne, c'est Clémentine ! Je reviens !
Dans la précipitation il sortit sans son manteau et sentit le froid le mordre dès qu'il atteignit le trottoir. Il s'éloigna de quelques pas pour s'abriter tant bien que mal sous un porche tout en décrochant fébrilement.
— Allô ?
— Salut.
Sa voix.
— Bonjour. Bon sang, Clémentine, ça me fait tellement plaisir de t'entendre, lâcha-t-il dans un souffle.
— Moi aussi ! Mais je te dérange, peut-être ? Tu es dehors ? J'entends la circulation.
— Non ! Enfin, oui, je suis dehors, mais j'ai le temps.
Après cette introduction maladroite il y eut un blanc. Malgré le fait qu'il avait un millier de choses à lui dire, Victor laissa le soin à Clémentine de poursuivre, après tout c'est elle qui appelait.
— Je ne savais pas comment répondre à ta dernière lettre, alors j'ai préféré t'appeler, expliqua-t-elle.
— Tu fais bien, Garance a raison, les lettres ça ne peut pas durer éternellement !
— Je ne m'en remets pas que vous vous soyez autant apprivoisés tous les deux !
Elle émit un petit rire qui mit du baume au cœur de Victor. Le temps où il avait cru ne plus jamais l'entendre semblait révolu.
— C'est sûr que ça n'était pas gagné ! renchérit-il avec entrain. Tu te souviens du regard qu'elle m'a lancé le jour où elle m'a surpris dans votre appartement ?
— Oui ! J'en étais restée là !
— Elle a quand même commencé par m'accuser quand on ne savait pas où tu étais, j'en ai pris plein la tronche. Alors j'ai mis les choses au clair, on s'est parlé franchement et quand elle s'est rendu compte que je souffrais autant qu'elle on s'est rapprochés. On n'avait pas de temps à perdre, on te recherchait tous les deux activement, alors faire équipe était la meilleure chose à faire. C'est vrai qu'après on aurait pu en rester là, mais que veux-tu, je me suis attaché ! Tu as une fille super, Clémentine.
— J'avoue qu'elle est pas mal, blagua-t-elle. Mais en ce moment je teste les limites de sa patience, que j'ai déjà beaucoup repoussées ! Alors j'ai décidé qu'il était temps que je rentre à Sète.
Le cœur de Victor manqua un battement.
— Vraiment ? Excellente nouvelle ! Quand ?
— Pendant les prochaines vacances de Garance, la première semaine de mars. Elle viendra avec moi pour voir son père, et je crois qu'il y a d'autres de ses amis du lycée qui seront dans le coin.
— Tu me diras quel jour vous arriverez. Si tu veux j'irai faire un tour à ton appartement pour aérer et remplir le frigo, suggéra Victor.
— Merci, mais je ne veux pas te déranger.
— Allons ! Puisque je te propose !
— C'est gentil, mais Victor... Avant que je revienne, j'aimerais être claire à propos de quelque chose.
— Oui ?
Il eut la nette impression que ce qui allait suivre ne lui plairait pas.
— Quand je t'ai dit que je ne veux pas d'homme dans ma vie pour le moment... Eh bien, je le pense toujours. Et euh... enfin... je ne voudrais pas que tu imagines des choses, voilà.
Bingo. Mais il s'y attendait. Il savait qu'elle serait frileuse de le revoir, il gardait en mémoire l'avertissement de son psy concernant la crainte des hommes en général qu'elle était susceptible d'avoir développée ; reprendre une relation charnelle et insouciante comme avant était clairement inenvisageable, il ne se faisait pas d'illusion. En même temps ce n'était plus ce qu'il désirait.
— Je comprends, je n'ai pas oublié, répondit-il posément. Mais je me souviens aussi t'avoir répondu que je t'attendrais. Ça non plus ça n'a pas changé.
— D'accord, concéda-t-elle. Mais je ne veux pas que tu perdes ton temps. Je ne suis plus la même, Victor. Si tu en as marre, promets-moi que tu arrêteras d'attendre.
— Si ça te rassure. Sache juste que moi aussi j'ai changé. Ces derniers mois n'ont pas été de tout repos.
L'atmosphère était soudain beaucoup plus chargée qu'au début de leur conversation, la voix de Clémentine se fit plus grave.
— On a beaucoup de choses à se raconter, je crois.
— Eh ! Ne t'en fais pas, d'accord ? Il me tarde de te retrouver, tout va bien se passer.
— Je sais, je te fais confiance. Mais c'est comme ça maintenant, j'angoisse pour tout et n'importe quoi ! Si seulement je pouvais faire comme s'il ne s'était rien passé et reprendre ma vie comme avant !
Pour elle, Victor aurait aimé pouvoir effacer le passé. Mais il en était incapable, alors tout ce qu'il pouvait lui offrir était un peu de présence et d'affection, si elle le voulait bien.
— Je vais tout faire pour que tu oublies, je te le promets, dit-il.
Arnaud était sorti de la boutique, et se tenait devant son témoin, son manteau sur le bras. Victor s'adressa une dernière fois à Clémentine avant de raccrocher.
— Il va falloir que je te laisse, conclut-il, Arnaud m'attend. Il va se remarier, cet imbécile, on était en train de lui choisir un costume. Je t'embrasse. A tout bientôt.
Frigorifié mais heureux, il leva les yeux au ciel et exhala un soupir de soulagement qui dessina un nuage de condensation dans l'air glacial.
— Bonnes nouvelles ? demanda Arnaud.
VOUS LISEZ
Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)
FanfictionQuand Victor décida de charmer Clémentine, il n'imaginait pas être pris au piège de ses émotions. Pouvait-elle être celle qui le soulagerait de la souffrance du deuil ? Serait-il capable de l'aider à affronter ses angoisses ? Avait-il droit au bonhe...