Chapitre 21

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Clémentine roula son tapis de yoga et le posa sur les quelques sacs devant la porte qui attendaient d'être chargés dans la voiture. Puis, elle fit un tour de l'appartement pour vérifier qu'elle n'avait rien oublié. Etant donné la surface du logement qu'avec Olivier ils louaient pour leur fille ça ne lui prit pas plus de quelques minutes.
Surtout qu'à part quelques vêtements – qui n'étaient jamais sortis de la valise faute de place dans les placards de la petite chambre – elle n'avait quasiment rien emporté à Toulouse. Son ordinateur était bien rangé dans sa sacoche dans l'entrée ainsi qu'une paire de dossiers qu'elle n'avait pas touchés : celui de son divorce et le business plan pour son projet de salle handisport.
Dans la salle de bain, elle laissa dans la douche son shampoing à la lavande car elle savait que Garance l'adorait et lui piquait parfois. Elle ramassa cependant le reste de ses crèmes ainsi que sa brosse à dents et fut fin prête à partir.
Son ventre était noué d'un mélange d'excitation et d'appréhension. Depuis qu'elle avait décidé que le moment était venu de sortir de sa bulle toulousaine, elle était impatiente de rentrer chez elle. Ces semaines en quasi-huis-clos avec sa fille avaient par bien des aspects été plaisantes, mais sur le long terme ça ne pouvait pas durer. Garance avait besoin de vivre pleinement ses années étudiantes, sans sa mère dans les pattes, et elle, le lycée l'attendait.
Là encore ses sentiments étaient mitigés. Elle aimait son métier, et l'idée de retrouver ses collègues – du moins certains – et ses classes l'enchantait. Puis elle imaginait le regard de ses élèves posé sur elle, sachant ce qui était arrivé, et elle se sentait déshabillée, son intimité bafouée une deuxième fois. Elle savait toutefois qu'elle pourrait compter sur le soutien de Sandrine, la proviseure, ou sur celui de Morgane, l'infirmière scolaire qui brillait par sa bienveillance et saurait trouver les mots pour la rassurer. Même Chloé, la mère de Maxime, qui enseignait également dans l'établissement, lui proposerait certainement son aide si besoin.
Avant de partir, Clémentine avait tenu à se rendre chez les Delcourt pour remercier Alex de vive voix pour le rôle qu'il avait joué dans sa libération, et c'est là que Chloé lui avait étonnamment offert son support. Les relations entre les deux femmes s'étaient logiquement fortement dégradées quand elle était sortie avec Maxime. Clémentine se mettait à la place de Chloé et comprenait sa réaction, mais elle avait toujours regretté d'avoir perdu son amitié.
D'Olivier en revanche elle n'attendait rien. Il avait pris la nouvelle de son retour avec soulagement, pour lui l'événement était donc désormais une affaire classée. Il ne saisissait pas à quel point elle avait été atteinte, dans son âme bien plus que dans sa chair. Qu'elle n'ait pas de séquelles physiques suffisait pour qu'il se persuade qu'elle allait bien. Et encore, même à l'époque où elle s'était retrouvée en fauteuil roulant – quelle bouleversement plus radical que ça un corps pouvait-il subir ? – il n'avait pas su gérer. Il était juste mauvais pour ça.
Elle faisait de son divorce une priorité dès son retour à Sète. Victor lui avait communiqué les coordonnées d'une avocate de confiance avec qui elle avait un rendez-vous la semaine suivante. Elle espéra que l'affaire ne traînerait pas en longueur, elle avait hâte de tourner la page, mais Victor lui avait vanté l'efficacité redoutable de son amie donc elle ne s'inquiétait pas.
Revoir Victor cochait les deux cases : impatience et inquiétude. Elle savait qu'il serait aux petits soins pour elle, et ne la brusquerait pas. Lui semblait comprendre sa détresse et le désespoir dans lequel elle sombrait parfois. Une part d'elle-même aurait voulu se laisser aller à son réconfort, mais ça lui faisait aussi terriblement peur. Elle ne doutait pas de lui, non, elle savait qu'il se souciait sincèrement d'elle, mais c'étaient ses propres sentiments qu'elle craignait. L'impression qu'elle avait d'être enfermée dans sa propre solitude la faisait douter de sa capacité à aimer de nouveau. A quoi bon consentir aux attentions de Victor si elle n'était pas en mesure de les lui retourner ? Elle savait qu'elle le blesserait en le tenant à distance, et bien qu'elle fût incapable de lui faire une place près d'elle, la possibilité de le perdre l'accablait. Pendant longtemps elle avait refusé de trop y réfléchir, elle comptait à présent sur leur rencontre prochaine pour l'aider à décider quoi faire de leur histoire.
Elle jeta un dernier rapide coup d'œil dans la pièce, à l'affût d'une possession qu'elle aurait laissé derrière elle. Mais le studio était immaculé, chaque surface parfaitement nettoyée, chaque objet à sa place, les coussins en ordre sur le canapé-convertible et les chaises alignées sous la table. Clémentine tenait à ce que Garance trouve un endroit propre et rangé à son retour de vacances. Satisfaite, elle empila les sacs sur ses épaules et sortit en tirant sa petite valise derrière elle. Elle rejoignit en pestant la rue adjacente où était parquée sa voiture – elle aurait mieux fait de faire deux allers-retours – et chargea le tout dans le coffre, où se trouvaient déjà les affaires de sa fille.
Dix minutes plus tard elle patientait en double-file devant la fac où Garance étudiait, en attendant que celle-ci fasse son apparition. Pile à l'heure convenue, l'étudiante déboula hors du bâtiment et s'engouffra dans la voiture, animée par l'énergie des vacances qui s'annonçaient, bienvenues à l'issue d'un semestre éprouvant.
— Tu n'as rien oublié, ma chérie ? Nous n'avons pas besoin de repasser à l'appartement ?
— Non, c'est bon ! En route !
L'enthousiasme de sa fille boosta Clémentine. Elle alluma l'autoradio et fit défiler les stations jusqu'à en trouver une qui leur convienne à toutes les deux. Garance se mit immédiatement à chanter en reconnaissant une de ses chansons favorites et Clémentine rit en entendant les faussetés, mais joignit sa voix à celle de sa fille.
2 h 45 plus tard, après un trajet fluide ponctué d'une courte pause pipi-café, elles pénétraient dans l'agglomération sétoise aux alentours de 21 h. L'euphorie du début du voyage s'était estompée et l'habitacle était maintenant plus calme. Garance avait le nez rivé sur son téléphone et riait, grognait ou s'exclamait au fur et à mesure de ses lectures.
— Oh ! Trop bien ! Jess est arrivée aussi ! s'écria-t-elle après un énième bip sonore. Elle est au Spoon avec Bart et Mathias. Dylan doit rentrer demain, normalement.
Clémentine observa sa fille du coin de l'œil. Depuis des mois les rôles s'étaient inversés, jusqu'à ce qu'elle oublie presque qu'elle était la mère. Elle avait laissé peser bien trop de responsabilités sur les épaules encore adolescentes de Garance, qui « rentrait » encore à la maison à Sète, bien qu'elle vive dorénavant à Toulouse. Mais les choses allaient rentrer dans l'ordre, maintenant. Bientôt, elle ne s'en rendrait même pas compte, mais Garance ferait de moins en moins le trajet et un jour ce ne serait plus « la maison », mais « chez ma mère », ou « chez mon père ». Et alors ce foyer qu'elle se sera construit, seule ou à deux, à Toulouse ou ailleurs, deviendra son nouveau chez-elle.
— Tu veux que je te dépose ? proposa Clémentine.
— Bah non, Maman ! Je ne vais pas te laisser toute seule !
— Allons, je ne suis pas encore complétement impotente ! Tu n'en as pas marre de moi, depuis le temps que je te colle ? De toute façon, vu l'heure, je vais simplement manger un morceau avant de m'écrouler dans mon lit. Profite ! Tu es en vacances !
Garance n'insista pas, entièrement à la joie de rejoindre ses amis du lycée qui lui manquaient encore quand elle était à Toulouse – ça aussi ça finirait par changer.
— D'accord ! Mais je ne rentrerai pas trop tard. On déjeune toujours avec Victor demain ?
— Oui, il passe nous chercher à midi, il ne m'a pas dit où il nous emmenait, par contre.
— Humm. Un endroit chic sûrement, il va vouloir t'impressionner depuis le temps qu'il ne t'a pas vue !
— N'importe quoi ! s'insurgea Clémentine.
Garance regarda sa mère en secouant la tête. L'attitude défensive que Clémentine adoptait – sans s'en rendre compte – dès qu'elles parlaient du galant méditerranéen amusait la jeune fille.
— Maman. Tu as conscience ou pas qu'il est dingue de toi ? demanda-t-elle.
Clémentine ouvrit la bouche pour répliquer mais la referma aussitôt, à court d'arguments pour démontrer le contraire. Elle soupira.
— Je ne sais pas, Garance. Il s'est passé tellement de temps.
— Justement ! Il t'a attendu ! Ça ne te fait rien ? Je trouve ça hyper romantique.
Clémentine n'avoua pas à sa fille que c'était la promesse que Victor lui avait faite plusieurs mois auparavant et qu'il semblait effectivement l'avoir tenue. Elle ne savait toujours pas quoi faire de cette information mais se surprenait parfois à ressentir une pointe de jalousie en imaginant Victor en compagnie d'une autre femme, ça devait sans doute signifier quelque chose.
— Peut-être, concéda-t-elle. Mais quoi qu'il en soit je n'ai pas l'intention d'en discuter avec toi pour le moment !
— Ce n'est pas grave. Je demanderais à Victor ! rétorqua Garance, affolant ainsi sa mère, pour qui la situation était suffisamment compliqué sans qu'elle en rajoute.
— Ne t'avise pas de l'embêter avec ça ! menaça Clémentine.
— Je blague !
Garance s'aperçut que la tournure que prenait la conversation rendait sa mère mal à l'aise, alors elle décida d'arrêter de la torturer.
— En tout cas si jamais tu te mettais avec lui, eh bien, ça ne me dérangerait pas, conclut-elle, il est plutôt cool en fait.
— C'est gentil de me dire ça, dit Clémentine en souriant.
Quelques minutes de silence confortable s'installèrent ensuite tandis qu'elles approchaient des quais où se trouvait le fameux Spoon, repère branché de nombreux sétois. Avant que Garance ne descende de la voiture, Clémentine en profita pour témoigner à sa fille toute la gratitude qu'elle avait pour elle.
— Je sais que notre décision avec ton père de divorcer n'a pas été facile à accepter pour toi, et que je t'ai fait beaucoup de mal quand je suis sortie avec Maxime. Après tout ce que je t'ai fait, tu as été là pour moi ces dernières semaines bien plus que ce que j'aurais pu espérer. Je mesure à quel point t'avoir à mes côtés est une chance précieuse que je n'ai pas toujours su saisir. Alors maintenant ton avis compte énormément pour moi. Est-ce que mon futur c'est Victor ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mais c'est un soulagement pour moi de savoir que tu l'apprécies.

Dans l'ombre du démon (Demain nous appartient - Clemor - ROMAN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant