Chapitre 2- L'appel fatidique

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Les gros caractères blancs me brûlent la rétine. Un frisson de panique monte le long de mon dos. Mon père ne m'appelle jamais, surtout pas un lundi soir. Il est arrivé hier soir à Bordeaux. Il travaille depuis l'année dernière là-bas, son patron l'a muté et normalement on le rejoint à la fin de mon année de terminale. Mes parents ont fait construire une maison dans une petite ville à côté. Tout ça pour dire que mes études sont programmées d'avance, du moins l'endroit où je les ferai.

Mon père a pris le risque hier d'aller à Bordeaux mais on a bien peur que le confinement soit installé quand il sera sur place. Maman disait qu'il serait mis en place d'ici la fin de la semaine ou d'ici le début de la semaine prochaine; mais en attendant mon papa doit travailler, dans le pire des cas il pourra remonter chez nous car c'est encore sa résidence primaire selon les dires de ma mère. Peut-être que c'est pour ça qu'il m'appelle. En tout cas je sens qu'il y a un problème et cela m'inquiète au plus haut point.

J'appuie sur le petit bouton pour décrocher. J'approche le téléphone de mon oreille et m'éloigne de la famille à nouveau réunie.

« Allô... » La voix familière de mon père résonne. Un reniflement. Il répète son allô de plus belle. Un nouveau reniflement. Il a la voix brisée. Il pleure. Mon cerveau s'arrête. Ma peur s'amplifie d'un coup. Mon père ne pleure jamais, il ne montre que très rarement ses sentiments. Je ne l'ai jamais vu dans cet état. Il a l'air tellement dévasté que ça m'en brise le coeur.

Avant qu'il ne répète une troisième fois son allô ou ne raccroche je réponds :

« Oui ?

- Alix ? J'ai besoin de ton aide.

-Papa ? .... Ça va pas ?

-..... »

Un nouveau reniflement. Un sanglot traverse le combiné dans un violent déchirement. Je suis désemparée. Je ne sais pas quoi faire, j'essaye tant bien que mal de réconforter mon père mais je n'arrive pas à le calmer. Je me tourne vers Thomas en espérant son aide.

Il voit ma panique et s'approche rapidement. J'articule en silence le mot papa puis larme. Il me signifie d'un hochement de tête qu'il a compris. Il attend près de moi pour en savoir plus. Un nouveau sanglot sort de la bouche de mon père. Il veut parler, me dire ce qu'il se passe alors j'attends calmement que sa crise de larme se tarisse. Plus les secondes passent et plus ma panique grandit. Je plonge mon regard dans celui de mon ami, et j'attends....

« Maman.... Accident. »

Mon regard flanche, je lâche le regard de Thomas.

« Maman.... a eu un accident » répète mon père.

Ma gorge se serre. Mes jambes tremblent et finissent par lâcher. Je sens qu'on essaye de me rattraper mais sans grand exploit. Mes genoux frappent violemment le goudron. Je reprends conscience dans une douleur plus que désagréable. J'entends de nouveau papa. Il sanglote toujours.

« Maman est.... dans le coma.... elle... elle.... ils ont réussi à la stabiliser. » tente-t-il d'exprimer en cherchant ses mots. Des larmes silencieuses coulent le long de mes joues. Je n'arrive pas à parler, une boule me bloque la gorge. J'espère inconsciemment la fin du coup de fil pour que je puisse me réveiller enfin de ce cauchemar.

Papa continue son récit, j'écoute consciencieusement ses indications. Il est bloqué à Bordeaux, pas de train avec les grèves et le début de la covid-19. Il doit rester sur place pour travailler mais il ne peut pas s'occuper de toutes les démarches à distance ainsi que de nous. Un silence, puis il reprend d'une voix plus douce que je ne suis pas encore majeure. Je fais instinctivement le rapprochement. Les services sociaux vont entrer en jeu. Une crainte nouvelle me fait réagir. Ils vont nous placer en foyer ou dans une famille d'accueil. Le risque d'être séparé de ma petite sur et de mon petit frère est trop grand. Je ne veux pas qu'on m'enlève la seule famille qu'il me reste, je ne survivrai pas. Je ne peux pas et ne veux pas leur infliger ça, ils sont beaucoup trop importants pour moi.

Le goût de la tristesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant