Lorsqu’elle se réveilla, tout le monde, excepté Ismahan, avait déjà déserté la maisonnée.
Tout en prenant son petit déjeuner composé de thé à la menthe et de galettes fraîchement cuites dans le four à bois, accompagnées d’huile d’olive et d’argan, de miel et d’une délicieuse pâte d’amandes, elle demanda :
« Où sont tes frères et sœurs, à l’école ? »
« Non, ils sont repartis sur le plateau, garder les chèvres. » répondit simplement Ismahan en se servant un verre de thé à la menthe. « Nous n’allons à l’école que lorsque les travaux des champs sont terminés. Les adultes ont alors moins besoin de nous et nous avons un peu plus de temps pour apprendre. »
Manon ne savait pas si elle devait envier ou plaindre sa nouvelle amie.
Ismahan dut lire dans ses pensées car elle poursuivit aussitôt :
« C’est comme ça chez nous. C’est sûrement très différent de ton pays, mais, tu sais, je suis sure que chez toi aussi il y a des choses qui me surprendraient, et qui, si elles te semblent parfaites pourraient me déplaire. »
« ça c’est sûr ! » répondit Manon en riant.
« Je vais bientôt devoir retourner aux champs, ma maman a besoin de moi. » Annonça Ismahan tandis que son amie finissait son petit déjeuner.
« On dirait que ta maman est très occupée, n’est ce pas ? » Demanda Manon.
« Oui, c’est sûr, ses journées sont bien remplies ! » Répondit joyeusement Ismahan.
« Comme la mienne. Elle a toujours quelque chose d’urgent et de très important à faire. Du coup, elle n’est pas souvent disponible pour qu’on fasse des choses ensemble ou simplement pour discuter avec moi. » Conclut Manon moins enthousiaste. « Je sais bien qu’elle a des responsabilités, et qu’elle ne peut pas être là pour moi tout le temps, mais… Parfois, j’ai l’impression que tout passe avant moi et qu’elle ne fait plus attention à moi comme avant quand j’étais fille unique… Je suis sûre que tu dois penser la même chose, non ? »
Ismahan réalisa toute la détresse de son amie et s’approcha d’elle pour la réconforter.
« ça m’est arrivé oui. à la naissance de chacun de mes frères et sœurs, mes responsabilités et mon travail ont augmenté dans la maison. J’en faisais chaque jour un peu plus et ma mère avait de moins en moins de temps à m’accorder ! C’était très dur à accepter. J’avais parfois l’impression que plus la famille s’agrandissait, moins elle faisait attention à moi… Et puis, un jour j’ai compris que j’avais tout faux. »
« Ah bon ? »
« Oui. Un jour j’étais tellement en colère que ma grand-mère s’en est aperçue et m’a demandé de me confier à elle. Je lui ai tout dit et c’est grâce à elle que j’ai compris combien j’avais tort de réagir de la sorte. »
« Qu’est ce qu’elle t’a dit ? » demanda Manon pleine d’espoir.
« De simplement regarder autour de moi, d’ouvrir grand mes yeux et tout aussi grand mon cœur. Et c’est ce que j’ai fait. »
Manon resta sans voix. Elle ne comprenait rien à cette drôle d’explication.
« Je vais t’expliquer. Le jour même, j’ai décidé de regarder autour de moi tout ce qui se passait et là, j’ai vu et j’ai compris. J’ai découvert que sous son apparente indifférence, en fait, elle nous observait en permanence, mes frères, mes sœurs et moi, comme une maman léopard qui laisse ses petits jouer et faire l’apprentissage de la vie en toute liberté, mais sans jamais les perdre de vue. Ma maman est pareille. Lorsqu’aux champs, mon front devient brûlant sous le poids du travail et du soleil, elle est à mes côtés pour me tendre une gorgée d’eau avant même que je me sois redressée. Quand vient le moment de faire sécher le linge après la lessive, elle glisse toujours des brins de lavande dans les foulards de Fatiha parce qu’elle sait combien elle apprécie son parfum. Chaque matin, elle laisse toujours Assan partir seul en avant avec les chèvres parce qu’elle a compris que cela le remplit de fierté de prendre la tête du troupeau. Même si Ziryab et Samir sont de parfaits jumeaux, elle les distingue sans difficulté, sans jamais se tromper malgré leurs blagues, et, au moment de la rupture du jeune du ramadan, elle se souvient toujours que Ziryab adore les Fourrés aux amandes et que Samir préfère les Cornets aux noix. Alors même s’ils n’ont pas jeuné, elle en prépare toujours plus, rien que pour leur faire plaisir. Et pour ce qui est de ma petite sœur Leila, c’est comme si elle savait à l’avance qu’elle allait faire un cauchemar. Elle est déjà à côté d’elle pour la rassurer, alors qu’elle vient à peine de remuer dans son lit. »
« C’est incroyable ! »
« C’est une maman ! Comme la tienne ! Je suis sûre que même si tu crois qu’elle ne veille pas sur toi, en fait, elle sait ce que tu fais à chaque instant, ce qui te fait plaisir ou de la peine et qu’elle te donne tout ce qu’elle peut… Il faut savoir ce contenter de ce que l’on a et ne pas toujours chercher l’impossible,… ça aussi c’est ma grand-mère qui me l’a appris. On est bien plus heureux comme ça, crois moi ! »
Manon réfléchit un instant aux sages paroles d’Ismahan et de sa grand-mère, puis, dans un large sourire conclut :
« Tu as tout à fait raison !… Merci Ismahan ! »
Ismahan lui rendit son sourire et s’engagea dans l’escalier pour sortir de la maison.
Manon la suivit et lorsqu’elle eut posé le pied sur la dernière marche…
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L'amour se multiplie, il ne se divise pas...
AdventureManon, jeune fille de 9 ans, est un peu perdue au sein de sa "trop grande" famille recomposée. Un soir, tandis que tout le monde dort, elle envisage de fuguer, et se retrouve, comme par magie, propulsée aux quatre coins du monde, pour vivre en compa...