Il y avait du brouillard partout. Un brouillard opaque, aveuglant et étouffant à la fois – mélange de vapeur produite par les énormes machines foreuses et de condensation causée par l'humidité permanente de notre monde souterrain – qui nous faisait suffoquer comme des animaux pris au piège. Mais nous avancions, Joey et moi, prêts à en découdre avec la bande du gros Max, slalomant courageusement entre les énormes poutres qui soutenaient l'impressionnant squelette métallique que nos ancêtres, jadis, avaient mis en place pour supporter cet invraisemblable système de plates-formes qui faisait désormais partie de notre monde.
En haut, sur les plates-formes supérieures, auxquelles les gens comme nous n'avaient pas accès, sauf quelques ouvriers qui avaient le droit de posséder un pass spécial dans le cadre de travaux de réparation, vivaient des familles fortunées, faisant partie de cette caste inaccessible qu'on appelait simplement « Ceux d'En-Haut ». Il y avait aussi « Ceux du Milieu », sur la plate-forme centrale, commerçants et artisans pour la plupart – sans compter le personnel du Centre de Soins et les techniciens qui s'occupaient des machines – lesquels descendaient parmi nous deux à trois fois par an pour nous transmettre les quelques commandes que nous avions pu leur passer. Des vêtements, de la nourriture un peu délicate que l'on ne trouvait pas par chez nous, comme ces délicieuses friandises que les vieilles dames austères de l'orphelinat nous distribuaient le matin du Nouvel An lorsque nous étions petits, sans même nous adresser un sourire attendri, ainsi que devaient le faire les vraies grand-mères à leurs petits-enfants. Et puis, il y avait nous. « Ceux d'En-Bas ». Les pauvres. Les oubliés. Ceux qu'on avait laissé dans leur misère, que l'on exploitait pour accomplir les tâches les plus difficiles lorsqu'on en avait besoin. Ceux qui rêvaient secrètement de renverser un jour la balance, mais qui n'osaient le dire de peur de se voir roués de coups par la Milice, ce terrible corps d'armée créé par « Ceux d'En-Haut » qui nous surveillait nuit et jour, refrénant toute tentative de rébellion par des sanctions extrêmement douloureuses. Mes défunts parents avaient fait partie d'un mouvement rebelle, créé quelques années auparavant, et avaient fini par en payer le prix. Leur réseau avait été démantelé, ses membres jetés dans ce qu'on appelait communément« la Fosse », cette cavité souterraine qui avait été transformée jadis en prison et où on laissait les condamnés s'entre-tuer ou tout simplement crever de faim, les privant à jamais de ce drôle de sentiment que l'on appelait l' « espoir », et que nous autres enfants d'En-Bas ne connaissions pas.
— Attends-moi, Ash ! pesta Joey derrière moi, tout en soufflant péniblement. Je ne cours pas aussi vite que toi !
Je ralentis l'allure, me souvenant que mon meilleur ami n'était effectivement pas un champion du sprint. Petit et maigrichon, Joey avait du mal à me rattraper, ses courtes jambes ne lui permettant pas de tenir mon rythme effréné. Je me retournai pour le dévisager et esquissai un sourire moqueur.
— Excuse-moi..., plaisantai-je lorsqu'il se trouva enfin à ma hauteur. Mais ce n'est pas de ma faute si mes jambes sont plus longues que les tiennes.
Il me jeta un regard noir et croisa les bras sur sa poitrine, avec une mine boudeuse qui rappelait celle d'un enfant contrarié. J'en profitai pour reprendre moi-même mon souffle, repoussant d'un geste vif une mèche rebelle de mes longs cheveux bruns derrière mon épaule avec une expression agacée.
— Il faut absolument que je mette la main sur ce gros tas flasque et répugnant de Max ! grondai-je en fronçant les sourcils, repensant au mauvais tour que ce dernier m'avait joué. Il n'est pas question que ce soit lui qui empoche l'argent que je me suis tuée à gagner en creusant dans ces foutues galeries !
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Ash Donovan et les Porteurs de Lumière - Tome 1 - Les Rampants et les Errants
FantascienzaA vingt-et-un ans, la jeune Ash Donovan a toujours vécu dans un monde cruel, injuste et plein de dangers. Un monde dans lequel l'être humain vit réfugié sous terre depuis des générations... depuis que les Anciens ont du fuir le Monde du Dessus, suit...