Havre de paix

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Alec descendait tranquillement la colline du ranch qu'il avait acheté quelques années auparavant. Cet endroit avait été son havre de paix après une éternité à devoir retenir ses envies.

L'homme de vingt-quatre ans s'était volontairement reclus sur son domaine, n'acceptant que deux seuls et uniques personnes à l'aider; sa sœur Clary et son meilleur ami Simon. Il n'était surtout pas question de recevoir ses parents adoptifs.

Oui, Alec était adopté et n'avait jamais ressenti le besoin de chercher l'identité de ses vrais parents. Il se disait qu'il devait certainement y avoir une bonne raison à son abandon et que, sinon, ses parents biologiques ne l'auraient pas fait. Il avait accepté ce fait et ne leurs en voulait nullement.

Dès les premiers jours, ses parents adoptifs, Valentin et Jocelyne, avaient eu énormément de problèmes avec leur bébé. En fait, Alec avait une maladie qui nécessitait de recevoir régulièrement des transfusions sanguines. Curieusement, les médecins n'avaient jamais réellement compris son état. Son sang contenait des globules rouges, mais ceux-ci formaient un tout autre schéma qu'une personne normale. Son organisme les détruisait quatre fois plus rapidement que sa capacité à en produire. Cela le plongeait dans une constante anémie, l'affaiblissant davantage chaque jour. Peu importait les traitements qu'on lui administrait, le seul, véritablement efficace, resta les transfusions. Et plus il vieillissait, plus elles devinrent fréquentes.

Jocelyne fut obligée de demeurer à la maison pour s'occuper de son fils. Celui-ci ressentit immédiatement que ce n'était pas par pur plaisir que ses parents avaient pris cette décision. Alec était si impuissant face à cette fatalité. Même s'il disait à sa mère qu'il pouvait attendre une journée de plus pour son traitement, son état dégénérait jusqu'à l'empêcher de s'alimenter correctement.

Bien sûr que Jocelyne devait lui en vouloir ! Même lui se détestait pour tous les problèmes qu'il avait engendrés. De son propre avis, il aurait été bien mieux mort que vivant. Comme ça, sa famille aurait eu une vie normale.

Normal, c'est ce qu'il voulait être depuis tout petit. À dix ans, il avait découvert son goût étrange pour la viande saignante. Dès qu'il le pouvait, il réclamait du steak. Parfois même, il mangeait de la viande hachée à même le contenant du marché, et ce, sans aucune cuisson. C'était un vrai ravissement pour ses papilles ! Son délice ultime, bien qu'il en avait l'interdiction formelle, était de boire le sang qui s'agglutinait dans le contenant des steaks. Sa mère lui offrait alors de sombres reproches accompagnés d'une solide tape derrière la tête.

— Tu ne trouves pas que tu es assez fragile comme ça ? Tu vas te rendre encore plus malade que tu ne l'es déjà.

Mais toutes ses paroles ne donnaient rien, si ce n'est qu'il continua de le faire derrière son dos. Et plus il en buvait, plus il en voulait. Un jour que la famille Morgenstern organisait un barbecue pour les collègues de travail de Valentin, le jeune garçon transvida l'entièreté des contenants de viande dans un sac hermétique pour qu'il puisse le déguster dans sa chambre. Sa sœur Clary, qui était encore jeune à l'époque, le trouva en train d'ingurgiter le liquide alors qu'elle venait le chercher pour le feu de camp.

Sur le moment, son réflexe avait été d'alerter ses parents. Elle savait que c'était mauvais pour la santé puisque Jocelyne avait grondé Alec à plusieurs reprises. Cette fois-ci ne fut pas différente des autres.

Ne comprendrait-il donc jamais que c'était dangereux pour lui ?

Mais bien sûr qu'il en avait pleinement conscience. Malheureusement, c'était plus fort que lui.

Au lendemain du barbecue, il s'était senti en pleine forme et supplia sa mère de ne pas procéder à son traitement quotidien. Ce fut le premier jour où il n'eut aucun symptôme. Le garçon se sentit même assez bien pour s'amuser, avec son voisin Simon. Pas un instant son estomac ne se retourna, ce qui le préserva, enfin, de s'allonger.

Simon avait l'habitude de le voir quitter l'arrière cour alors qu'il était en proie à de violents symptômes. Mais ce jour-là, il avait été très heureux de pouvoir passer une journée entière en compagnie de son ami.

Bien entendu, dès le jour suivant, les nausées revinrent alors qu'il essayait de prendre son petit déjeuner. Alec n'eut d'autre choix que de se rendre à la salle de bain pour vomir son repas qui, de toute manière, était exécrable.

Qu'il aurait aimé être assez vieux pour prendre ses propres décisions et quitter cette demeure où il ne faisait que semer le trouble. Seulement, c'était loin d'être le cas, et chaque jour de sa vie passa comme un supplice. Transfusions et vomissements furent le lot des huit années qui suivirent.

Quand vint sa majorité, il reçut en cadeau, l'héritage que lui avaient légué ses grands-parents. Il décida, sur le champ, ce qu'il ferait de cette somme plutôt importante. Depuis ses dix ans que le jeune homme y pensait; une maison, le plus loin possible de ses parents, là où il n'aurait plus les reproches quotidiens que Jocelyne lui administrait aussi souvent que son traitement.

À dix-huit ans, il avait eu tout le loisir d'apprendre comment faire ses propres transfusions et, à la première occasion, il quitta le nid familial en achetant un ranch au tréfonds de la campagne américaine. Son plus grand rêve se réalisait enfin; loin des tourments qu'il faisait vivre à sa mère.

La très grande propriété venait avec quelques centaines de têtes de bétail ainsi que des chevaux qu'il soignait comme la prunelle de ses yeux.

Alec y habitait désormais depuis six ans et, comme à chaque jour, il descendait sur son cheval, l'une des vallées enneigées de son domaine. Apercevant, au loin, une tache sombre sur la neige scintillante, il plaça une main au dessus de ses yeux pour mieux distinguer ce qui s'y trouvait. Choqué, il reconnut un corps, à peine vêtu, qui gisait sur le tapis blanc.

Le rancher se précipita vers l'individu, la peur au ventre, craignant que la personne ne soit déjà décédée d'hypothermie.

Sang espoir (Malec AU)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant