Chapitre 7.

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L'étrange calme qui règne dans notre chambre seigneuriale tranche avec la vive agitation de la réception. Ayant congédié toutes les servantes, je reste seule, sur le pas, à contempler la pièce. La fenêtre ouverte laisse passer un léger courant d'air qui agite les rideaux. Ces deniers balancent au grès du vent, tels des fantômes. L'obscurité de la nuit pénètre par la fenêtre, et les divers meubles projettent des ombres qui auraient pu paraître inquiétante. Mais l'ambiance sombre de la chambre s'évanouit aussitôt que j'allume un bougeoir, illuminant la pièce de sa flamme rougeoyante.

C'est là que je remarque sur mon poignet une minuscule tâche de sang. La perle écarlate ruisselle le long de ma peau diaphane, prêt à tomber sur le sol. Je stoppe sa course en modifiant l'orientation de mon poignet. La couleur vive m'hypnotise presque, réveillant à nouveau mon appétit. Portant mon bras à ma bouche, je lèche la petite goutte avec lenteur, savourant ce goût divin qui se propage dans mes papilles. Des écailles apparaissent sur mon poignet, à l'endroit où la goutte se trouvait.

Mais un bruit dans mon dos me coupe dans mon étrange extase. Me retournant vivement, je fais volteface, me retrouvant devant Raymondin, appuyé sur le cadre de la porte. Il semble épuisé. La souffrance se lit sur son visage.

« Cette soirée était un cauchemar... souffle-t-il, son regard doré scrutant mon visage avec attention.

— Pas tant que cela, mon cher. Notre pouvoir est garanti désormais.

— Mais à quel prix ? s'enquiert-il, se laissant tomber assis sur le lit.

Mon protecteur se laisse faire alors que je déboutonne sa chemise afin de mettre à nue son épaule blessée. Je jette le vêtement au sol sans y faire attention et observe un instant la plaie, suintante de sang. La dague s'est enfoncée profondément et a déchiré les chairs. S'il avait été humain, il en aurait eu pour des semaines de convalescences avant de s'en remettre. Heureusement pour lui, désormais nous sommes liés et ce lien lui permettra de guérir plus vite que la moyenne. Toujours est-il que la douleur qu'il ressent est réelle. Ses beaux traits sont figés dans une grimace amère.

— Le prix à payer n'est rien en comparaison du résultat final. J'ai obtenu ce que je désirais... et vous également par conséquence.

— Et qu'est-ce que je désire ?

— La richesse, la puissance, le pouvoir... C'est bien pour cela que vous avez... agit ainsi le jour de notre rencontre. Et sans moi, tout cela aurait été vain et vous seriez aussitôt accusé de vous-savez-quoi.

Sa main se referme sur mon bras alors que je m'apprêtais à appliquer sur sa plaie un tissu au préalable mouillé afin de nettoyer le sang. Il lève son regard vers moi, plongeant ses yeux dans les miens, à la recherche de je ne sais quoi.

— Ce que vous avez fait au maréchal...

Me dégageant de sa poigne, je commence à nettoyer, ricanant :

— ... était pleinement mérité.

— Et à cette fille ?

— Je croyais que sur terre, la trahison était punie par la mort. C'était eux ou moi, sifflé-je,

Raymondin esquisse un rictus, comme s'il n'avait pas l'air convaincu par mes paroles.

— Vous auriez pu cesser tout ce cirque en vous mettant à chanter.

Il est vrai que j'ai le don de prendre le contrôle des esprits des hommes et de les mener selon ma volonté rien qu'en fredonnant. Me contentant de hausser des épaules, je sussure :

— Mais ça aurait été beaucoup moins amusant...

Ma réponse lui arrache une grimace. Je me recule, ayant fini ma besogne et m'éloigne pour aller chercher de quoi finir de nettoyer cette plaie qui ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Le tissu imbibé de sang dans mes mains titille mes sens, chatouille ma faim. Tournant le dos à mon époux, je sens mes canines pousser et mes joues se creuser alors que ma nature profonde se rebiffe, avide de sang. Mais pour une fois, je repousse loin la sirène dans mon être. Ce n'est pas le moment. Me débarrassant de l'objet de ma tentation, je retourne près du seigneur de Lusignan qui ne me lâche pas du regard. D'une voix que je veux douce, j'explique :

Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant