Chapitre 16.

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Il est des instants dans la vie où l'on semble être perché sur un fil, suspendu au-dessus d'un ravin. Tout semble pouvoir se jouer, rien n'est certain... Un mot pourrait définitivement tout changer, un acte pourrait marquer à jamais le cours des choses. On se retrouve confronté à la vérité pure. Il n'y a plus de voie de secours, plus de masque derrière lequel se cacher. Seule la réalité trône et elle ordonne qu'on agisse. Car la situation ne peut pas demeurer éternellement ainsi, suspendue au-dessus du vide... Dans l'hésitation.

Dans ces cas-là, soit l'on recule immédiatement, tentant par tous les moyens de régler la situation... Soit on plonge tête la première dans les événements en décidant d'assumer jusqu'au bout, quoiqu'il en coûte... Je crois qu'à force, vous commencez à me connaître...

Je fonce tête baissée dans les ennuis.

Recouvrant un minimum mes esprits, enfouissant au plus profond de mon être ma surprise, je suis la première à rompre le silence pesant qui planait au-dessus de nos têtes.

« Raymondin ! Que faites-vous là ?

Ses sourcils se froncent tandis qu'il referme la porte derrière lui avec précaution. Il s'approche d'un pas, scrute le cadavre à mes pieds avant de reposer son regard devenu glacial sur moi.

— J'avais remarqué que vous aviez l'air de vous sentir mal. Je me suis inquiété. À tort, à priori.

J'ouvre la bouche prête à lui servir un simulacre de défense mais il lève la main, m'interrompant :

— Ne vous donnez pas cette peine, Melusine. Vous sembliez vous régaler avant que je ne vienne.

— Vous n'auriez pas dû...

— Pourquoi ? Pour rester encore aveugle à vos crimes ?

— Exactement.

Je n'éprouve nulle honte, nul scrupule à l'affirmer, le menton levé en signe de dignité. Une vague d'agacement est déjà en train de s'emparer de moi. Mais c'est la colère qui domine en cet instant, bien que je l'étouffe sans la moindre hésitation, afin de rester neutre en toute circonstance. Colère contre lui, contre mon secret qui n'en est plus un, et un tout petit peu contre moi... Parce que bordel ! J'aurais pu résister à cette faim et patienter jusqu'à demain...

— Quelle explication pourriez-vous donner ? grogne soudain mon époux, perdant tout de son sang-froid.

Heureusement, la musique qui s'échappe de la salle de bal couvre nos voix. Conservant mon calme, je soupire essuyant un peu du sang qui tâche mon menton dans un geste peu élégant mais déjà las de la dispute qui se profile :

— Les sirènes se nourrissent de sang.

Malgré le fait qu'il vienne de me surprendre en train de littéralement m'abreuver à la gorge d'un homme, Raymondin écarquille les yeux, comme si la nouvelle représentait un véritable choc. Peut-être que voir les choses et se les entendre confirmer n'est pas tout à fait pareil... On peut croire que nos yeux nous trompent, en tant que maîtresse d'illusion je sais qu'il faut rarement se fier à ce qui nous entoure. Mais lorsque les sens s'accordent et que la réalité vous affirme ce que vous espériez ne pas être réels, réduisant à néant tous vos doutes... Oui, effectivement, il peut y avoir choc. Puisqu'il semble encore stupéfait par ma déclaration, je préfère embrayer et continuer mon explication :

— Les viandes, les légumes, les vins... Tout cela, on peut en manger. Mais ça ne pourra en aucun cas remplacer le sang. Et si au bout de sept jours la sirène ne s'est pas abreuvée, c'est la folie qui l'attend... Puis c'est la mort.

— La mort ?

Deux mots ! C'est un bon début pour sortir de l'état de choc...

— Sirène folle devient incontrôlable, ricané-je amèrement. Elle menace l'équilibre et le secret. Notre créateur ne le permet pas. Aussi retrouve-t-il la sirène et... La voilà qui se transforme en écume ! C'est d'un poétique écœurant.

Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant