1696, France.
Caïan s'ennuyait profondément. Autour de lui, une foule de noble se pavanait, coincée dans des tenues extravagantes faites de tissus richissimes, de soie, de velours, de taffetas... Les musiciens jouaient des airs lents et fluets, bien loin des chansons joviales - et majoritairement paillardes - auxquelles l'homme était habitué.
Il avait en horreur ce genre de réception.
Dissimulé derrière son masque aussi noir que la nuit, il n'assistait à ce bal masqué donné par le comte du Poitou que par obligation. Depuis plusieurs mois, une série de meurtre s'était déroulée le long des côtes anglaises puis françaises jusqu'à atteindre le duché d'Aquitaine. Des cadavres retrouvés après des soirées comme celles-ci, vidés de leur sang. Jusqu'à la moindre petite goutte. Les Hommes parlaient de la main du diable.
Mais Caïan savait bien ce qu'il en était réellement. Le Diable n'avait rien à faire là-dedans. C'était l'œuvre d'une créature antique, bien plus vieille et certainement bien plus belle et désirable que Satan...
Une sirène.
Le jeune noble faisait partie d'un groupe chargé de débarrasser la terre de ces monstres marins qui s'abreuvaient de sang et erraient sur Terre comme au fond des mers. Il était l'un des meilleurs membres de la ligue des chasseurs de sirènes. Il avait réussi à stopper plus de vampires des mers que bon nombre de ses comparses.
Mais ce qu'il appréciait c'était la traque. Et non pas de devoir écumer ainsi les bals à la recherche de celle qui causait un tel massacre sur son chemin. Sur son bras, son tatouage indiquant son appartenance à la ligue le démangeait.
Qu'il aurait aimé partir d'ici...
Il n'avait trouvé un peu de joie qu'auprès du banquet et plus particulièrement, près de la cruche dont le vin coulait en continue, lui offrant un maigre réconfort dans un univers qu'il abhorrait et qui le plongeait dans une torpeur sans fin. Dire qu'il aurait pu être ailleurs, se battre ou à défaut, s'enivrer dans une taverne... La bouteille avait toujours été sa seule amie... et il ne pouvait même se permettre d'être ivre.
Alors qu'une des interminables et ennuyeuses danses prenaient fin, il se décida à quitter le bal pour rejoindre son auberge préférée. Il ne se passerait rien de toute façon. Il entreprit de se faufiler parmi les danseurs priant pour que personne ne se dresse en travers de sa route.
C'est à ce moment-là que le regard du chasseur de sirène croisa celui d'une jeune femme. Elle le regardait, dissimulée sous le loup en argent qui couvrait la moitié de son visage. Ses boucles noires cascadaient autour de son cou gracile lorsqu'elle penchait la tête sur le côté, une moue malicieuse étirant ses lèvres pourpres. Elle dégageait une telle aura de luxure qu'il en fut un instant aveuglé.
Il en oublia aussitôt sa mission et la cruelle créature qu'il poursuivait. Il en oublia son amour pour les bons vins que les nobles ne manquaient pas de servir à ce genre de bal. Il en oublia tout, fasciné par la femme qui avait ainsi capturé son attention. Son désir s'éveilla brutalement, à lui en faire perdre la raison.
Faisant fi des règles de bienséance qui régissaient cet univers qu'il haïssait tant il s'avança vers elle avant de s'incliner face à elle.
« Caïan de Vrie, pour vous servir. Puis-je vous inviter à danser ?
La jeune femme esquissa un sourire doux, léger, aguicheur. Elle exécuta une merveilleuse révérence, qui ne manqua pas de mettre en avant son décolleté de nacre. Décolleté que le noble ne pu s'empêcher de lorgner, avidement. Lorsqu'elle se redressa, elle glissa sa main délicate au creux de la paume rugueuse du chasseur de sirène qui se sentit soudain bien maladroit face à tant de grâce. C'est une voix douce qui lui répondit, enchanteresse :
— Avez plaisir.
Alors que les notes d'une nouvelle danse s'élevèrent, plus vive que la précédente, la jeune femme esquissa les premiers pas du menuet, virevoltant aussi légèrement qu'un pinçon. Caïan se rendit alors compte qu'il ne savait toujours pas comment se nommait cette demoiselle qui avait éveillé en lui un désir enfoui qu'il avait bien hâte de lui exprimer :
— Quel est votre nom ?
Un instant, le regard de la sublime demoiselle glissa jusqu'au tatouage sur son bras avant de se reposer sur lui. Son sourire s'agrandit, possédant quelque chose d'intrigant, de presque inquiétant. Mais Caïan était trop fasciné pour s'en rendre compte. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait plus humain que chasseur. Il avait l'impression de renouer avec un certain bonheur. Lorsqu'elle lui répondit, sa voix à la fois rauque et mélodieuse couvrit tous les bruits autour d'eux, les voix, les rires, la musique... Ne restaient que ses mots qui vinrent chatouiller son esprit :
— Melusine.
C'était le prénom d'un ange. Si bien qu'il lui était impossible de deviner la noirceur qui se dissimulait derrière une telle lumière. Aussi fut-il entièrement envoûté lorsqu'elle reprit, d'un ton bien plus assuré, plongeant son regard océanique, si bleu qu'il crut s'y noyer, dans le sien :
— Melusine de Longborn. »
🔱FIN🔱
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Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)
Paranormal- Avertissement : Ce livre est un hors-série de Mélusine et se déroule plusieurs siècle avant l'histoire centrale. Elle relate le passé de la sirène et peut être lue indépendamment (il est cependant conseillé d'avoir lu Mélusine puisqu'il y a quelq...