Chapitre 12.

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Je m'apprête à monter sur l'estrade pour faire face à cette bande de révoltés inconscients, guidés par leur aveuglement – ou plutôt par leur discernement.

Raymondin me rejoint. Son regard insistant posé sur moi trahi sa grande inquiétude. Pas le moins du monde nerveuse, je lui souris, réarrangeant ma robe verte correctement. Le seigneur de Lusignan finit par lâcher, à voix basse :

« Faites ce que vous avez à faire, Melusine.

Urien revient à ce moment. Curieux, il me dévisage alors même que je me rappelle que l'adolescent avait tenu à nous accompagner.

— Que se passe-t-il ?

Mon protecteur intervient, inquiet pour son fils :

— Quand je te le dirais, bouche-toi les oreilles !

— Pourquoi ?

L'héritier des Lusignan semble ne pas comprendre. Evidemment, il s'apprête à assister à l'étalage des dons de celle qu'il considère comme sa mère. Les rumeurs sont une chose, la vérité en est une autre. Me tournant vers mon époux, je grimace :

— Peut-être ferait-il mieux de rentrer, Raymondin.

Celui-ci plisse des yeux et pose une main protectrice sur l'épaule de son fils, son regard perçant cherchant sûrement à deviner ce que je peux bien penser et lui cacher. Lentement, détachant bien les syllabes, il rétorque :

— Il n'y en a nul besoin, n'est-ce pas ? Tout est censé bien se dérouler.

J'acquiesce, mais ne déride pas. S'il y a une chose que j'ai appris durant ma si longue vie, c'est que les choses se déroulent rarement comme nous le prévoyons, qu'importe à quel point l'on prend des précautions.

L'air gonfle mes poumons alors que mon assurance se diffuse dans mes veines, mêlée à l'adrénaline. C'est le moment. M'avançant sur l'estrade, face aux insurgés, je me racle la gorge, histoire d'avoir le silence afin que tous m'écoutent. D'une voix forte, résonnant dans l'air lourd de la ville, je tonne :

— On m'a rapporté que vous souhaitiez mon départ... voire ma mort sur le bûcher. Est-ce vrai ?

Pendant un instant, la foule garde le silence, hésitant réellement à s'exprimer. Si je suis réellement cette créature obscure qu'ils décrivent à voix basses, ils font bien de se méfier. Cependant, rompant la stupeur générale, un moine s'avance et s'écrit :

— Sorcière ! Tu as pactisé avec le diable.

Je souris, amusée par cette accusation. Un jour, on finira bien par me mener au bûcher. Mais ce jour n'est pas arrivée. Avec nonchalance, je rétorque :

— Si mon maître était réellement le diable, je n'aurais aucune pitié, aucun scrupule à provoquer un bain de sang ici et maintenant.

Un murmure scandalisé parcourt l'assemblée et je vois certains esquisser le signe de la croix. Par tous les dieux... Derrière moi, Raymondin se racle la gorge. Je peux presque l'entendre penser. « Cesse de les provoquer » semble-t-il vouloir me dire. Mais je n'en ai cure !

— Mais pas de bain de sang aujourd'hui.

Me tournant un instant vers mon protecteur et son fils, je murmure :

— Bouchez-vous les oreilles. »

Puis je reporte mon attention sur la foule insurgée face à moi. Tous m'observent, suspicieux. Mon sourire s'agrandit alors que j'avance encore d'un pas. Les rayons du soleil réchauffent ma peau, le doux vent soulève mes cheveux noirs, et toute leur attention est posée sur moi. Parfait.

Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant