Chapitre 23.

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« Par le diable, tout ceci m'a extenuée !

D'un geste brusque je pousse la porte de notre chambre. Celle-ci s'ouvre avec fracas, nous ouvrant le passage avant de se refermer dans un claquement sonore. Je me fige au beau milieu de la pièce avant de passer une main sur mon visage, luttant contre un bien vilain mal de tête provoqué par l'arrivée intempestive de ce chasseur sur mon territoire. Raymondin entre à ma suite, refermant la porte avec précaution.

— Vous blasphémez Melusine...

— Ah... C'est vrai. Mince !

Pourtant, ni le reproche de mon protecteur ni mes excuses ne sont sincères. Voilà longtemps que le seigneur de Lusignan a abandonné l'idée de m'empêcher de jurer à tout va. Il le fait plus par reflexe que par réelle conviction. D'ailleurs, en parlant de conviction, son ton en manque cruellement.

L'homme garde ses distances avec moi, son regard doré balayant la pièce. Puis il se tourne vers moi et constate, d'un ton à la fois intrigué et suspicieux :

— L'idée d'être recherchée par ces chasseurs de sirènes ne semble pas vous perturber plus que cela...

Je hausse des épaules, m'adossant contre la table, profitant de cet appui inespéré.

— C'est parce qu'ils ne sont pas encore sûrs et certains de ma présence. L'homme dans les bois était là en éclaireur. S'il avait réellement prévenu les autres, ils auraient déjà été là. Et nous aurions été dans de beaux draps.

— Vous avez déjà été confrontée à eux ?

— Ma magnifique faculté à guérir de tout dissimule les traces de ces rencontres... Mais je peux vous promettre qu'elles n'ont rien eu d'agréable.

Ma dernière altercation avec eux remonte à un siècle et c'était cette fois-là, en présence d'Orphée. Quand nous nous sommes retrouvés piégés sur ce bateau, ils ont eu l'occasion de me blesser et y sont parvenus. C'est ce qui a motivé ma fuite précipitée et l'abandon du héros qui lui ne craignait rien. Instinctivement, je remonte la manche de ma robe, dissimulant mes omoplates pourtant intactes.

Son regard s'obscurcit tandis qu'un rictus las et agacé étire ses fines lèvres. Je comprends. Plus qu'il ne croit. Tout comme j'ai compris avoir perdu sa confiance. Or, si mon protecteur n'a plus la moindre foi en moi, si nous continuons à nous déchirer comme nous le faisions avant d'être interrompu par le chasseur... Ma présence ici n'a plus la moindre valeur. La satisfaction d'avoir « une chose à moi » comme l'a définie Orphée, d'avoir le pouvoir, la richesse, la gloire... ne dépasse pas l'ennui profond et la rancœur qui s'est installée. Seul l'attachement de mon époux pouvait lutter contre ma fiévreuse envie de retourner à l'océan. Désormais... plus rien ne m'en empêche.

Face à son air sombre, mes lèvres frémissent avant que je ne lâche, plus sèchement que je ne l'aurais voulu :

— Ne vous en faites pas, Raymondin. Je n'ai pas oublié ce que je vous ai affirmé. Mes ennuis ne seront plus les vôtres.

Mon protecteur fronce des sourcils à l'entente de ces mots avant de me dévisager, son expression soudain bien impénétrable et indéchiffrable. Une ombre finit de voiler pour de bon ses iris clairs alors que l'intensité de son regard se fait plus pesante.

— Vous partez ?

Malheureusement, ma patience a atteint ses limites.

— Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas l'intention de rester dans l'état actuel des choses et de m'embourber dans une relation qui ne mène de toute façon à rien.

Je me redresse avant de me débarrasser du surcot imbibé de mon propre sang de ma robe. Parfois, je me dis que je ne devrais porter que des vêtements rouges afin que ce genre de désagrément passe inaperçu. Mais cette couleur est loin d'être celle qui me met le plus en valeur. Je secoue la tête. Ces préoccupations futiles n'ont plus la moindre importance à l'instant.

Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant