Chapitre 29.

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L'aube pointe son nez avec douceur, au-dessus des plaines et des forêts paisibles du comté du Poitou. La belle ville de Lusignan et son château sont encore endormis, plongés dans un sommeil serein. C'est un de ces rares instants où le monde entier semble plongé dans une paix éternelle, loin de la folie des Hommes et de la cruauté des êtres surnaturels.

Seule la Nature est maîtresse. Seul le ciel domine. Et le soleil s'élève comme l'espoir.

Pour moi, cette nuit ensanglantée par les feux de l'aurore signe le moment de mon départ. C'est maintenant, entre chien et loup, qu'il est temps pour moi de m'évanouir, un peu comme les dernières étoiles sur la voûte nocturne en déclin.

Doucement, je me relève et quitte le lit conjugal, abandonnant mon protecteur à son sommeil. Mes gestes sont mécaniques. J'agis simplement poussée par mon instinct. La nuit a anesthésié suffisamment mes sens et mes plaies. L'esprit froid, je suis en mesure de réfléchir.

Et c'est la raison qui l'emporte sur mes passions.

Sur la pointe des pieds, je m'avance jusqu'à l'imposante armoire. De toutes mes robes, je choisis la plus simple. Taillé sur le modèle d'une robe de chambre, elle s'enfile telle une chemise et se referme sur l'avant au niveau du buste par un robuste lacet avant de s'évaser au niveau de la taille, laissant apparaître la jupe de la chemise de dessous. Je ne l'ai jamais mise, l'ayant fait confectionner pour une occasion qui ne s'est jamais présentée jusqu'ici. C'est une robe idéale pour voyager, me laissant libre de mes mouvements.

Car c'est bien pour un long voyage que je me prépare.

Ce matin, avant que le jour ne se soit levé pour de bon, j'aurais quitté Lusignan. Pour toujours.

Je n'emporte rien avec moi. Ni mon alliance, ni mes bijoux, pas le moindre souvenir. Une fois vêtue, je ne prends même pas la peine de coiffer mes cheveux. La longue chevauchée qui m'attend aura tôt fait de tout détruire. Pour le moment, il m'est plutôt aisé d'enfouir tout ce que j'aurais pu ressentir à la perspective de ce départ.

À vrai dire, je ne ressens rien sinon un froid glacial qui engourdi mon âme.

Une fois prête, j'enfile une paire de bottes avant de me diriger vers la sortie. Mon regard se pose une dernière fois sur Raymondin. Il dort, paisiblement, les traits de son visage tant détendu qu'il semble qu'il n'ait jamais vécu toutes les horreurs que nous avons traversés. Pas de complots, pas de révoltes, pas de morts, pas de meurtres, pas de fratricide... Juste la paix.

Un léger sourire fleurit sur mes lèvres.

Merci Raymondin. Pour avoir été un excellent protecteur. Et un excellent amant !

Avec précaution, je referme la porte derrière moi. C'est à cet instant que mes sentiments s'éveillent et je ressens un vif pincement au cœur. Mais c'est trop tard. Ma décision est prise.

Sur la pointe des pieds, je file dans les couloirs jusqu'à rejoindre la cours du palais. Je ne croise personne, pas le moindre serviteur.

Tant mieux.

Assez rapidement, j'harnache un des chevaux des écuries. C'est un étalon aussi noir que la nuit et suffisamment robuste. Idéal pour la route qui nous attend, lui et moi. Le scellant, je passe la bride autour de son cou. La bête semble nerveuse en ma présence. Mais pour une fois, lui comme moi devrons dépasser notre aversion mutuelle. Alors qu'il piaffe, son souffle nauséabond agite mes cheveux. Je grimace.

Sale bête !

« Vous savez, fuir en pleine nuit le lit de son époux n'est pas digne d'une Dame.

Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant