En cette douce soirée, une énième réception est tenue afin d'honorer un certain prélat venu de Poitier, très riche dit-on. En tant que maîtresse de maison, c'est à moi qu'a incombé la tâche d'organiser tout cela. Avec beaucoup de mauvaise foi et à force de commentaires moqueurs d'Orphée, j'ai finis par m'y plier sous les regards goguenards du héros.
Cependant, je suis fière de mon travail.
Dans toute l'Europe, il se murmure que mes réceptions sont plus belles et fastueuses encore que celles de la cours de France. Je veux bien le croire. Ils n'ont pas de sirène pour reine.
Aussitôt, la réception lancée, j'ai pu quitter la présence presque hostile de mon époux pour rejoindre Orphée sur la piste de danse. S'il y a une chose pour laquelle mon vieil ami est doué, c'est cela. Son oreille musicale et son corps athlétique en fait un excellent danseur. Trop excellent. Même meilleur que moi, bien que je n'irai jamais le lui dire. Il n'y a pas de place ici pour deux égos surdimensionnés. Son orgueil est déjà bien trop flatté par l'attention que je lui porte depuis son arrivée. Lorsque les premières notes s'envolent, vives et joyeuses, nous exécutons chacun notre tour une révérence avant de s'avancer.
L'ancien poète me souffle au moment où nous nous frôlons :
« Tu es vraiment douée pour organiser des fêtes...
— J'en ai organisé de bien meilleures...
— Je ne suis pas sûr que les orgies comptent !
J'ouvre la bouche, prête à rétorquer avant de me mordre la langue, me contentant de lui lancer un sourire espiègle. La lueur d'amusement qui danse dans l'émeraude de ses yeux suffit à me partager son état d'allégresse. J'en oublie mes problèmes et le regard de Raymondin qui pèse sur moi, lourd, me rappelant désagréablement notre situation qui ne s'est toujours pas améliorée.
Nous virevoltons gracieusement au milieu des autres duos. Silencieusement ou en échangeant deux trois paroles. C'est agréable. Ma relation avec le héros semble se trouver dans un de ses hauts, loin des moments où nous en venons presque à nous détester au point de presque nous entretuer. Ce qui arrive très souvent mais ne dure jamais. Cette paix est éphémère mais j'en profite. Bientôt, il me faudra reprendre la lutte éternelle de l'immortalité.
Au fil de la danse, je sens que le regard d'Orphée se modifie. Il n'est plus aussi léger et insouciant qu'au début. À présent, il me dévisage avec insistance, le vert de ses yeux semblant vouloir percer au-delà de ma peau, de mes barrières. Je plisse des yeux, utilisant un peu de mes dons afin de comprendre ce qui peut ainsi occuper ses pensées et assombrir son regard. Face à mes interrogations muettes, il finit par soupirer. Alors que nous tournons une nouvelle fois, sa main se resserre brièvement autour de la mienne alors qu'elle ne le devrait pas. À voix basse, prenant ses précautions, il murmure :
— Je pars.
Un instant, je fronce des sourcils. Mais la danse impose un rapide changement de partenaire. Je me retrouve à danser avec un vieil homme dont les doigts rachitiques tremblent entre les miens. Je relève le menton, me contentant de suivre les pas, avant de tournoyer et de me retrouver à nouveau face à Orphée. Nos mains se font face sans se toucher. Étonnée, je m'enquiers :
— Quand ?
— Demain.
Je me fige soudain, butant sur un pas, avant de croasser – sans savoir s'il s'agit de surprise ou de déception :
— Quoi ?
— Je ne peux rester... Tu le sais aussi bien que moi. Je dois continuer mon voyage.
— Quel voyage ?
Parler en dansant est aisé lorsque nous sommes deux créatures n'ayant guère besoin de reprendre son souffle. Le reste de la réception a en cet instant disparu. Les nobles dames, les galants seigneurs, les chandelles, les mets, mon époux... Tout a disparu tandis que je toise le héros.
VOUS LISEZ
Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)
Paranormal- Avertissement : Ce livre est un hors-série de Mélusine et se déroule plusieurs siècle avant l'histoire centrale. Elle relate le passé de la sirène et peut être lue indépendamment (il est cependant conseillé d'avoir lu Mélusine puisqu'il y a quelq...