Chapitre 21.

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« Melusine !

J'avance si vite dans les bois que les arbres autour de moi ne forment qu'une masse informe verdâtre qui perd de sa saveur au fur et à mesure que je m'enfonce dans la forêt. La Nature me fait de plus en plus horreur alors que ma bonne humeur se dégrade à la vitesse d'une falaise de calcaire en proie aux furies de la mer furieuse.

L'euphorie que je ressentais une heure plus tôt s'est envolée alors que petit à petit, je retrouve mes émotions amères des derniers jours. Orphée est parti, j'ai tué cette idiote d'Ombeline et Raymondin me poursuit à présent, bien décidé à régler ses comptes depuis qu'il a très probablement retrouvé le corps sans vie de cette noble sans attraits.

— Melusine !

Mon nom tonne dans l'air avec la puissance du tonnerre qui éclate. Mais j'ignore les imprécations furieuses de mon époux. Je ne sais même pas comment celui-ci a eu l'idée de me rejoindre en forêt, ni comment il a fait pour me retrouver si vite. Si j'ai fuis dans les bois après le meurtre d'Ombeline c'est pour éviter la discussion venimeuse qui semble se profiler à cet instant même.

Soudain, l'air siffle. Je me baisse de justesse pour éviter la dague que Raymondin vient de me lancer dessus, non pas pour me tuer mais bien pour attirer mon attention et m'obliger à l'écouter. Cela fonctionne. En partie. Me retournant brutalement, je le toise, avant de cracher :

— Rappelez-vous que si je meurs, vous mourrez aussi, pauvre imbécile !

— D'une mort plus agréable que celle d'Ombeline de Pusay ?

La rage étincelle dans son regard doré si assombri en ce jour qu'il en semble plus noir que jamais. Ses pupilles, dilatées sous le coup de la colère, ont dévoré toute la lumière. Comme je l'avais prévu, Raymondin n'a pas apprécié le meurtre de sa cousine éloignée... Face à tant de mépris, un sourire mauvais étire mes lèvres. Instinctivement, je me transforme en peste et ricane :

— Cela dépend ? Qu'est-ce qui est le plus douloureux entre mourir d'une dague en plein cœur ou vidé de son sang ?

Sa mâchoire se crispe alors que ses poings sont tant serrés que ses phalanges blanchissent à vue d'œil. Difficile de savoir s'il se retient de hurler ou de me frapper. À sa place j'aurais déjà opté pour la seconde option. Ma soif de violence gronde.

J'ai une très vilaine tendance : celle d'aimer pousser à bout mes interlocuteurs. Pardonne-moi Orphée, mais ta vieille amie est une belle garce qui aime faire souffrir ! Bien décidée à enfoncer le couteau dans la plaie et à savourer mon ascendant cruel, je reprends dans un rire railleur, faisant mine de minauder, papillonnant des paupières :

— Cependant, il est certain qu'aucune de ces deux options ne doit être aussi agréable que de vous embrasser sous le regard paisible des étoiles, au son des chants des troubadours... Au moins, cette pauvre oie aura eu ce plaisir avant de mourir.

À l'entente de mes mots, il blêmit.

— Vous avez...

— J'ai tout vu, oui, l'interromps-je, sèchement.

Le chevalier ne dit mot, paralysé par ma révélation, en proie à un conflit interne qui se devine dans son regard fiévreux. Un soupire m'échappe et je reprends avec plus de détachement afin d'éviter tout quiproquo :

— Vous savez, je ne suis pas du genre à être jalouse. Mes mœurs sont très libres. Je ne vois aucun problème à aller voir ailleurs de temps à autre. C'est pour ça que votre attachement à Marianne, paix à son âme, dépassant parfois l'amitié, ne m'a jamais fait ni chaud ni froid. Mais que cette péronnelle ose vous embrasser ainsi, profitant de nos dissensions, ça je ne peux le permettre.

Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant