3 - mots de travers

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Point de vue de Liam.

Le lendemain, en cours de français, nous débattons sur le machisme. Encore une de ces matières qui n'intéressent que les filles. Je ne comprends pas pourquoi autant de femmes suivent le mouvement du « féminisme », selon moi, c'est du grand n'importe quoi. Un mot de travers de la part d'un homme et ça y est, c'est considéré comme du harcèlement.

On leur fait un compliment dans la rue et on devient des prédateurs sexuels ! Elles cherchent des problèmes là où il n'y en a pas. Sérieusement, on a traversé des époques entières en vivant comme ça, alors pourquoi en faire toute une histoire maintenant ? Toutes ces manifestations, c'est bien beau, mais ça ne changera jamais rien.

— Ces féministes exagèrent tout pour qu'on leur donne de l'attention. Et puis ces femmes qui sont soi-disant battues, elles n'ont qu'à partir de chez elles et le problème est réglé. À la place, elles préfèrent rester avec l'homme qui les bat et elles viennent encore se plaindre.

Madame Simoe me regarde avec des yeux à deux doigts de sortir de leurs orbites. Alors qu'elle ouvre la bouche un doigt en l'air, prête à me contredire comme toujours, ma voisine de classe se tourne vers moi. C'est la première fois que j'entends sa voix. Enfin. Après tant de temps à attendre et à m'imaginer la belle mélodie qui allait sortir de sa gorge. Et je regrette immédiatement ce que je viens de dire, voyant la frustration s'évaporer d'elle en un torrent de colère.

— Mais qu'est-ce que tu crois au juste ? Que c'est si facile de sortir d'une telle situation ? Tu crois que ces femmes restent là à rien faire ? crie-t-elle sur le vif.

Elle se lève de sa chaise d'un coup d'un seul. Les pieds métalliques crissent sur le parquet, faisant frémir tous les élèves. J'ose un regard vers elle et admire ses yeux océaniques me foudroyer sur place. Pourtant je ne parviens pas à détacher mon regard de sa beauté.

Sa voix tremble. Je ne l'ai jamais vue débiter autant de mots depuis son arrivée. Pourquoi maintenant ? Pourquoi est-ce le seul moment où elle intervient ? Elle qui est pourtant si muette à son habitude devient subitement celle qui débat le plus dans cette classe. Je me vois instantanément au milieu d'une cour de justice, moi l'accusé et elle la juge qui s'apprête à conclure sa sentence.

Vous êtes accusé d'être un imbécile et encourez douze mois d'emprisonnement.

— Lyliana, calme-toi s'il te plaît et assieds-toi. Recommande la prof en levant son index en signe d'avertissement.

Lyliana... c'est donc ça son nom. Je l'ai déjà entendu en fait, il serait vraiment temps que je me concentre durant les cours.

— Non ! Je ne peux pas accepter que l'on puisse dire cela. Et toi, dit-elle en me pointant du doigt, crois moi tu n'as aucune idée de ce que c'est que de vivre une situation pareille. Parfois même ces femmes ne s'en rendent pas compte, elles croient que c'est normal tellement elles sont aveuglées par l'amour... Jusqu'au jour où c'est trop tard pour elles. Et parfois elles arrivent à l'exprimer et demander de l'aide, mais elles tombent sur des cons dans ton genre ! Ces connards sans cur qui ne font que les descendre un peu plus ! Ces femmes sont plus souvent écoutées une fois mortes que de leur vivant et tu trouves ça normal ?

Elle marque une pause avant de souffler un coup et de reprendre plus calmement :

— Tous ces meurtres, tous ces coups donnés, ce n'est rien de grave pour toi ? C'est « exagéré » selon toi ? Même la police ne les aide plus, c'est tellement injuste pour elles. Elles parlent et pourtant personne ne les croit, et après ça, elles se font encore rabaisser et humilier. Comment sortir de ce cercle vicieux ? Comment réussir à s'en sortir quand personne ne les soutient ? Ouvrez les yeux bordel... Vous ne voyez pas que ça arrive partout autour de vous. Ce n'est pas que dans les films, ça n'arrive pas qu'aux autres. Il serait temps de remettre les pieds sur terre. On ne vit pas dans le monde des bisounours où tout est beau, tout rose et tout le monde est bienveillant. Non. Ça n'existe pas ça. Ça n'a jamais existé et ça n'existera probablement jamais. J'ai perdu quelqu'un à cause de ses faits. je n'accepterai pas d'autres victimes.

Ses mots sont poignants et entremêlés de quelques larmes refoulées. Son monologue met un froid dans la classe devenue subitement muette. Plus personne n'ose la contredire, tous impactés par son discours. Nous restons là, perplexes et choqués. Certains tentent un regard en biais vers leurs potes mais les détournent bien assez vite en voyant que la plupart ont la tête baissée, n'osant même plus lever les yeux.

Elle remballe ses affaires, sans un mot de plus. Toute la classe la regarde, complètement abasourdie, choquée. Je ne sais même plus quoi en penser. Tout est entremêlé dans ma tête. Un flot d'insultes contre moi-même vient me torturer l'esprit. Quel idiot. Elle sort de la classe et juste avant de passer la porte elle se retourne et me lâche un regard assassin. Bon ok, je crois bien que je l'ai vexée.

Ça a l'air de lui tenir vraiment à cur, j'ai déjà tout gâché. À peine ai-je eu le temps de faire connaissance avec elle, qu'elle doit sans doute déjà me détester. Comment vais-je pouvoir rattraper ça ?

— Bon, si vous me le permettez, j'aimerais reprendre mon cours sans être à nouveau interrompu. Nous ne sommes pas dans un théâtre, je n'ai pas besoin de scène pareille dans ma classe. Liam, j'ose espérer que Lyliana aura pu répondre à votre question et que vous cesserez à présent de débiter des idioties par rapport à de tels sujets.

Pff, super. Même la prof va être énervée pendant des semaines à cause de ce que j'ai dit. Je croise mes bras sur le banc avant d'enfoncer ma tête dedans. Je ne bouge plus du cours, j'ai trop honte pour ça, les autres me regardent de travers, je le sens.

Ash, qui est assis derrière moi pendant ce cours, me donne une tape sur l'épaule. Je ne sais pas si c'est pour me consoler ou pour se foutre de moi, mais je préfère ne pas réagir.

Une fois le cours fini, je range vite mes affaires avant de foncer vers la prochaine salle de cours. Lyliana n'est toujours pas revenue. Elle n'est pas revenue de toute l'après-midi d'ailleurs. Comment a-t-elle pu se vexer à ce point ? C'était juste pour un cours. Ok, c'était un sujet important, ok j'ai dit des conneries, ok c'était un peu méchant mais... Mais rien en fait, j'ai été en tort, c'est tout. N'empêche qu'elle a été un peu extrême dans ses propos.

En tout cas, il est clair que je dois vraiment me bouger le cul pour me faire pardonner. Je ne sais pas encore à quel point je vais galérer ni combien de temps, mais je le ferai. Je ferai tout pour qu'elle ait confiance en moi.

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L'emprise du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant