17 - Evacuer la douleur

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Point de vue de Lyliana

Kyllian ? dis-je d'une voix enrouée. Il se décale pour que je puisse le voir complètement. Sa mine semble déprimée, presque anéantie. Je me lève et me précipite vers lui pour le prendre dans mes bras. Je le serre comme si j'avais peur qu'il parte à nouveau, ce qui, inconsciemment, est réellement le cas.

— Désolée, désolée, désolée, désolée... Je répète ce même mot en boucle tout en le gardant contre moi. De son côté, il ne réagit pas, il garde ses bras le long de son corps sans bouger. Il ne dit rien.

Je relève la tête vers lui et vois son visage consumé par la tristesse. Mon Dieu, qu'est-ce que j'ai fait ? Il me prend par les épaules pour me reculer de lui, il passe à côté de moi et s'accroupit pour ramasser les débris entassés au sol.

— Laisse, ce n'est pas à toi de ranger tout ça. À nouveau, il ne répond rien.

— Je me suis inquiétée pour toi toute la journée, tu ne décrochais pas à ton téléphone j'ai cru qu'il t'était arrivé quelque chose. Il ne prend même pas la peine de se retourner.

— Mon cur ? Parle-moi je t'en prie... Dis-moi quelque chose... Comment te sens-tu ? Il se relève, un vase cassé à la main, et part vers la poubelle. En passant à côté de moi je peux voir ses lèvres trembler et une larme perler au coin de son il. Cette vision me déchire le cur.

— Je regrette, vraiment. Je t'en prie pardonne-moi. Je ne referai plus jamais cette erreur. J'arrêterai les cours et je ne sortirai plus. Je veux rester avec toi et rien qu'avec toi. Je m'en fous des autres. Je n'aime que toi. Je veux faire ma vie avec toi.

— Réponds-moi ! Ne serait-ce qu'un mot... Mais parle-moi je t'en prie, ne me laisse pas comme ça !

Un sanglot m'échappe. Voyant qu'il ne compte vraiment pas me répondre, je m'agenouille à côté de lui pour l'aider à ranger ce foutoir que j'ai fait. Une fois le plancher débarrassé de tout débris, il monte les escaliers. Sans doute va-t-il se coucher. Moi, je reste un peu en bas, repensant à cette journée. Je ne peux pas m'empêcher de m'en vouloir. Je viens de gâcher notre vie commune, j'ai ruiné sa confiance et je viens de détruire notre relation.

Un petit scintillement attire mon attention sur le sol. Je m'approche et remarque qu'il reste un bout de verre cassé. Je m'assois contre le meuble qui se trouve à côté de moi sans quitter ce fin morceau de cristal du regard.

D'un bras, j'agrippe mes jambes et de l'autre, je tiens le petit morceau de verre devant mon visage, l'observant sous tous ses angles. L'un des côtés semble beaucoup plus fin mais également beaucoup plus fragile, il est comme moi au final. Je passe doucement mon pouce sur ce rebord et m'aperçois qu'il est très coupant.

Une idée me vient subitement. Je veux faire passer la peine que j'ai, cette peine qui est en train de me consumer, cette même peine qui tient l'origine de ma culpabilité. Et pour ne plus ressentir cette douleur, il faut que je passe cette souffrance sur le physique.

Je prends alors ce petit bout qui va devenir mon sauveur. Je le regarde d'un air nostalgique puis le déplace jusqu'à mon poignet. Une pression sur ma peau, la lame glisse sur une courte distance. Ça marche. La douleur est là. Je ne pense plus qu'à cette douleur. La lame revient sur ma peau frêle et trace une seconde ligne.

Cette lame, qui semblait fragile à la base, ne l'est pas, en réalité. Une troisième coupure rejoint ses surs. Je me sens de mieux en mieux. Mon sang s'émane petit à petit des ouvertures. Ça fait du bien de sentir ce liquide chaud couler le long de mon bras et s'écraser sans un bruit sur le sol. Bercée par la rage, mon action est de plus en plus sèche et rapide. Bientôt, mon bras sera teinté de rouge et ma douleur sera totalement évacuée. Ma tête tourne et je ne pense plus à rien.

La douleur, devenue maintenant constante, s'atténue petit à petit. Je n'ai plus mal. Je lâche le fragment de cristal et le laisse retomber au sol. Je ne pleure plus, je ne suis plus triste. Je ne ressens juste plus rien. Le vide a remplacé mes émotions. Le néant fait désormais partie de moi. Mon cur s'est comme créé une protection, une armure contre la peine.

Je me lève dans mon désarroi et prends le chemin de la salle de bain. Mon corps bouge instinctivement alors que j'ai l'impression que mon cerveau est complètement éteint. Je me déplace tel un zombie errant. J'vais me changer tout en prenant soin de poser un bandage sur mes coupures, puis pars vers notre chambre.

Il dort déjà, le voir là me réconforte inconsciemment. Il n'est pas parti définitivement. Il est revenu. Peut-être ses sentiments sont-ils plus forts que ma trahison ?

Je soulève doucement la couverture de façon à ne pas le réveiller. Je ne peux m'empêcher de me coller à lui. Ma peine est passée, mais j'ai besoin de me sentir rassurée. J'ai besoin de l'avoir contre moi. J'ai simplement besoin de lui. Mais cet enchantement est de courte durée. En sentant quelque chose bouger à côté de lui, il se réveille. Je l'entends grogner et sens son corps se dégager de mon emprise. Il sort alors du lit, prend la couverture et déserte notre chambre.

Le vide m'envahit à nouveau. Je gis seule sur ce lit, démunie de mon âme-sur. Il ne veut plus de moi. Je l'ai détruit, il est tellement triste et tout est de ma faute. Je ne comprends pas comment ce silence peut avoir un tel effet sur moi. C'est encore plus percutant et plus dur à endosser que ses crises de nerfs.

Je préfère mille fois qu'il s'énerve plutôt que de le voir m'éviter comme cela. Je ne peux pas fermer l'il de la nuit, envahie par mes remords et des tonnes de questions qui viennent envahir ma tête.

Une guerre se crée dans mon esprit entre tous ces sentiments toxiques et mon manque de sommeil. Vous voyez ce moment où vous êtes tellement fatigué mais tellement immergé par vos pensées que vous ne savez même plus comment faire pour vous endormir ?

Eh bien, ce fut le résumé de ma nuit. Et des nuits à venir d'ailleurs. Huit jours s'écoulent sans qu'il ne daigne m'adresser la parole.

Et comme si ce n'était pas assez pesant pour moi, dorénavant il refuse de sortir. D'habitude, ses journées sont occupées, mais là il ne fait plus rien. Il est là, simplement assis sur son canapé fétiche à regarder la télévision éteinte. Il ne mange plus, ne boit plus, ne parle plus. C'est devenu une enveloppe de chair dénuée d'émotion et dénuée de vie.

De temps en temps, je vois une goutte perler au coin de son il. Il ne prend même plus la peine de se cacher, ni de l'essuyer. Il ne bouge pas d'un poil. Il ne dort presque plus non plus et encore moins dans le lit. La nuit, il change juste de canapé pour se retrouver recroquevillé en boule dans un des coins du canapé long.

Cette nuit est plus dure que les autres. À force, toute cette ambiance pesante n'a fait que m'oppresser de plus en plus. Et cette nuit, je prends une décision.

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⭐⭐

L'emprise du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant