Point de vue de Lyliana
— Très bien mademoiselle, expliquez-moi la situation de A à Z afin que nous puissions vous aider au mieux.
S'ensuit alors un énième monologue, je commence à avoir l'habitude à force. J'ai l'impression d'avoir expliqué tout cela tellement de fois en si peu de temps. Une fois mes explications commencées, je n'ai plus aucun mal à expliquer ma situation. J'ai réussi à m'en détacher. Je suis comme spectatrice, je débite ces paroles sans laisser mes émotions me submerger. Pour moi, c'est une fierté à ce moment-là. Je ne me laisse pas atteindre et j'ai réussi à tout dire d'une traite. Je ne me montre pas fragile, aucune larme ne coule. À ce moment, je me sens forte.
— D'accord. Avez-vous un témoin visuel ? dit-il d'un air plus que nonchalant.
— Et bien, Liam connaît très bien l'histoire. Il sait ce qui m'est arrivé et il m'a vue lorsque j'étais blessée.
— Mais est-ce qu'il a vu votre ex-compagnon vous frapper ?
— Non jamais, mais je sais que c'est la vérité monsieur. Croyez-nous, se défend immédiatement Liam en se levant presque de la chaise.
Un râle s'échappe de la part du policier.
— Est-ce qu'un médecin a ressassé toutes vos blessures dans un dossier ?
— Euh non, non, dis-je pensivement. À chaque fois, j'allais aux urgences. En général, je partais assez vite. Mais mon médecin n'a jamais fait très attention à ces blessures. Et comme je vous ai dit, Kyllian faisait toujours passer ça pour des accidents. Donc s'il y a un dossier quelque part, les causes seront toujours inscrites en tant qu'accident.
— Avez-vous encore des blessures ou des marques sur vous actuellement ?
— Je, non, tout a guéri. Il me reste quelques cicatrices tout de même.
— Pas suffisant.
Le policier se penche en arrière sur sa chaise, s'enfonçant un peu plus sur celle-ci. Un long soupir s'échappe de ses lèvres. Il me regarde dans les yeux, l'air de dire « et que veux-tu que je fasse de ça, moi, hein ? ». Son air je-m'en-foutiste m'agace au plus haut point. Je le vois sortir son téléphone et taper sur le clavier. Non mais il est sérieux là ?
Je tourne le regard vers Liam, les yeux remplis de désespoir, j'essaie d'appeler au secours afin qu'il nous sorte de cette situation. Il le comprend vite et tente d'interagir face à ce pauvre type qui, manifestement, semble agacé d'être là.
— Hum - s'éclaircit-il la voix - donc pour la plainte, comment procédons-nous ?
— Pas de preuve, pas de plainte.
— Comment ça "pas de preuve, pas de plainte" ? Vous n'allez pas la laisser comme ça quand même ? Elle a enfin le courage de parler et vous allez simplement lui dire "pas possible" ? Mais vous vous fichez de moi ?
— Je sais que ça vous énerve, mais baissez d'un ton. Je ne fais que suivre le protocole. Pas de témoin, pas de trace, pas de preuve, alors pas de plainte.
A cet instant, tout se passe au ralenti. J'ai les oreilles qui bourdonnent, mon âme semble avoir quitté mon corps pour observer la scène de loin. Je ne bouge plus. Je n'entends presque plus. La pièce tourne autour de moi, je ne vois plus que les bras des deux hommes s'agiter dans tous les sens. Leurs bouches qui s'ouvrent en grand de manière saccadée me font comprendre qu'ils sont en train de crier à présent.
Lorsque mon corps décrète que c'en est trop, je me lève tel un zombie et entame mon chemin vers la sortie. Les deux garçons s'arrêtent et me regardent incrédules. Ils arrêtent enfin de crier et je ne peux m'empêcher de penser « enfin du silence ». Je ne m'arrête pas pour autant, déterminée à sortir de là au plus vite. Personne ne me croit. Cette pensée tourne en boucle dans ma tête. Personne ne me croit. J'étais destinée à vivre dans la peur, baignée des regards d'incompréhension et de jugement des autres. Personne ne me croit.
Lorsque j'atteins le couloir, Liam et l'agent arrivent derrière moi. Je sens une main m'agripper - celle du flic - et j'ai, par réflexe, un mouvement de recul. « Quand comprendront-ils que quand on me touche, ça me fait peur ! »
— Attendez-là. Je vais voir avec mon collègue ce qu'on peut faire pour vous.
Et il repart en direction du bureau à l'arrière, empoignant son collègue qui était au bureau d'accueil pour l'emmener avec lui. L'espoir refait surface en moi.
Liam en profite pour me serrer dans ses bras. Il doit comprendre que c'est éprouvant pour moi, ça doit l'être autant pour lui de voir le monde injuste dans lequel je vis. Je resserre mes bras autour de sa nuque à mon tour, il renforce son étreinte. Il me serre tellement fort que je crois sentir mes côtes être broyées une à une. Un petit rire m'échappe à cette idée.
Nous nous asseyons à nouveau sur ces chaises inconfortables et attendons le verdict. La salle est plongée dans un calme intense. A tel point que nous pouvons même entendre les policiers parler dans le couloir au fond. Lorsque nous nous apercevons que nous pouvons entendre quelques bribes de paroles, nous faisons encore moins de bruit. Je veux arrêter mon cur pour empêcher ses battements de faire vibrer tout mon corps. Nos souffles se coupent instinctivement. Nous tendons l'oreille afin d'entendre les plus infimes élocutions. La seule chose que je peux en tirer est : « Elle était très détachée quand elle m'expliquait son délire. C'est sûr qu'elle ment. Une de plus à rajouter à la liste des menteuses compulsives en manque d'attention. »
Et là, mon monde s'écroule. Personne ne me croira jamais. Pas de preuve, pas de plainte, dit-il ? Pff, tu parles, pas de preuve, pas de justice surtout. Comment être heureuse dans un monde où on nous traite comme des menteurs alors que nous sommes victimes ? Dans un monde où même certains de nos proches ne nous croient pas. Dans un monde où ceux qui sont censés nous mettre en sécurité nous rejettent.
C'est ça, la dure réalité de la vie. Un monde où l'injustice règne. Un monde où ceux qui font le mal s'en sortent. Et nous, victimes de la société, devons survivre ou prendre la décision d'arrêter de se battre. Ce fut cette même décision qui m'accompagna quelques jours plus tard dans mon dernier souffle.
Fin
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L'emprise du silence
RomanceJe reste là, à subir allongée à terre, attendant la fin de cette énième crise de nerfs. Arrêter de résister était la meilleure solution. Je l'ai compris avec le temps. "Tu parles, tu meurs", c'est ce qu'il ne cesse de me répéter. Alors je ne dis ri...