21 - le début de la fin

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Point de vue de Lyliana

Je passe une nuit très peu reposante. Je n'arrive pas à fermer l'il de la nuit. J'ai un poids pesant sur le cur qui refuse de partir, me coupant le souffle. J'ai un nud dans la gorge qui ne semble pas vouloir me laisser tranquille non plus. Cette nuit est faite de frissons. Des tremblements parcourent mon corps sans cesse. Mon esprit divague constamment vers Kyllian. Ses mains se baladant sur les courbes de mon corps, ses caresses délicates devenant soudainement des coups agressifs. Je repense à mes bleus, à mes coupures, à l'hôpital, à ma famille. Des centaines de pensées envahissent ma tête, semblant vouloir s'en emparer.

Quand le jour pointe le bout de son nez, je n'ai toujours pas fermé l'il de la nuit. Liam dort encore et je me vois mal rester éternellement au lit. Je décide alors de rejoindre la cuisine et j'y retrouve étonnamment le père de Liam. « Pourquoi est-il debout à une heure si matinale », me questionne-je. Il doit être à peine six heures.

— Bonjour monsieur, dis-je la voix légèrement enrouée tout en me frottant les yeux. Comment allez-vous ?

— Oh bonjour Lyliana ! Je t'en prie, appelle-moi David. Je ne savais pas que tu étais ici.

— Oui, j'ai eu un petit problème... alors je suis venue, dis-je quelque peu gênée par la situation.

L'heure qui suit ce court échange est très calme. Nous ne parlons pas. Ce silence doit être dérangeant pour nous deux. Ce n'est pas dans mes habitudes mais la nuit dernière m'a mis un sacré coup de mou. Je me sens vide.

Et Liam qui dort encore. J'aimerais avoir son sommeil, m'endormir et laisser mes rêves m'emporter loin de ce cauchemar. Malheureusement, la réalité est bien là et elle refuse que je lui échappe. Cela me fait si peur. "Et maintenant", me demandé-je sans relâche. Et maintenant, que m'arrivera-t-il ?

— Je peux te poser une question ?

Sa voix me fait sursauter, je m'étais presque habituée à ce silence.

— Euh oui, dites-moi ?

— Dis-moi ce qui ne va pas. Et ne me dis pas qu'il n'y a rien. Parole de papa, l'instinct parental a toujours raison.

Comment lui dire ? Dois-je vraiment lui dire ? En serai-je seulement capable ? Je sens mon cur battre plus vite, la chaleur monter dans mes joues et mes mains se mettre à trembler. Je maudis mon corps d'être aussi expressif. Je me résigne alors à lui expliquer, ressentant un besoin irrépressible d'exprimer ma douleur. Je lui explique le commencement. Les disputes avec mes parents, ma vie commune avec Kyllian qui est passée du paradis à l'enfer en un claquement de doigts, ma rencontre avec son fils, mes allées et venues à l'hôpital jusqu'à la crise que j'ai faite hier soir.

Il ne cille pas. Il m'écoute avec attention, reformulant de temps à autre pour cause d'incompréhension. Puis il m'incite à continuer d'expliquer par de simples hochements de tête. Je n'entends presque pas sa voix tout au long de mon discours. Une fois fini, mon corps se relâche. Je souffle un long coup, me vidant par la même occasion de mon désarroi.

— Sais-tu ce que tu viens de vivre ?

— Un cauchemar ? dis-je presque innocemment.

— Aussi, mais surtout, ce sont des violences conjugales. Tu as été embarquée dans une relation plus que toxique. C'est très grave ce que tu viens de m'avouer Lyliana. Il faut que tu en parles. Il faut que tu portes plainte. Tu as de la chance d'être encore en vie à l'heure actuelle. Tu as su, jusqu'ici, te protéger. Mais maintenant, il faut laisser la place aux autorités pour qu'ils puissent faire leur travail et t'aider à leur tour.

— Je ne sais pas si j'en serai capable. Je n'ai pas envie de gâcher sa vie. Je ne veux pas qu'il aille en prison par ma faute.

— Tu ne te rends donc pas compte. C'est de sa faute à lui et à personne d'autre. Tu n'es pas la fautive dans cette histoire, tu es la victime. Tu dois te comporter comme telle.

Ses mots sont maladroits, mais ils me font tout de même réfléchir.

— Mais je ne serai pas capable d'en parler.

— Tu viens de le faire, il te suffira juste de redire exactement ce que tu m'as dit. On sera avec toi. Liam t'accompagnera et moi aussi si tu le souhaites. On pourrait même y aller aujourd'hui.

Je tressaille à l'entente de ses mots. "Si tôt ?", pensé-je immédiatement.

— Plus tôt ce sera fait, plus tôt tu seras en sécurité. Une fois qu'il sera réellement loin de toi, tu pourras commencer à guérir. Et je ne parle pas de tes blessures, de tes bleus et de tes cicatrices. Mais bel et bien de la guérison de ton cur. Ce que tu entends, ce n'est pas ton cur qui bat. C'est la jeune fille qui est en toi qui cogne contre ta poitrine pour se libérer. Cette fille, elle veut vivre, être libre, être heureuse. Accorde-lui cette chance. Il n'est plus question de survivre à présent, mais de vivre.

Ses mots résonnent en moi toute la journée. Il a raison. Le temps où je m'écrasais face à Kyllian est révolu. Je ne peux pas le laisser gagner.

J'ai tout de même besoin d'une semaine et demie avant de me décider. Chaque jour, nous passons devant le commissariat. Chaque jour, j'essaie d'entrer, mais je n'y parviens pas. Lorsque ma main s'approche de la poignée, il m'est comme impossible d'aller plus loin. Je suis paralysée et je finis par abandonner. Liam me soutient, il est patient avec moi. Il est compatissant et comprend que j'ai besoin de temps. Mais aujourd'hui, je suis bien décidée à passer le pas de la porte.

Ma main se pose sur la clenche. Je prends la main de Liam et la place sur la mienne. En un regard, on se comprend. On pousse alors la porte en même temps. Comme si je n'avais pas eu assez de force pour l'ouvrir jusqu'à présent. Mais nous voilà rentrés à l'intérieur. Nous voilà, en train d'attendre notre tour, assis sur les quelques chaises disposées dans ce qui s'apparente à un accueil. Ma jambe tressaille, faisant résonner un bruit insupportable dans toute la pièce. Mon cur bat au rythme de ma jambe et le stress monte en flèche à l'intérieur de moi. Liam me prend la main. Son geste ne suffit pas à me calmer, mais sa présence est suffisante. Savoir qu'il est là, que je ne suis pas seule face à cette situation, me suffit amplement.

Notre tour arrive rapidement. Nous ne sommes pas nombreux, mais les policiers n'ont pas l'air très pressés non plus. Ou peut-être que je vois mal les choses à cause de la pression qui m'enveloppe. Je ne peux m'empêcher de penser que c'est une mauvaise idée, que je ferais mieux de repartir maintenant.

— Mademoiselle, c'est à vous, dit-il tout en me fixant.

C'est le moment. Je ne peux plus reculer. Je prends mon courage à deux mains et m'avance vers l'accueil, d'un pas plus qu'incertain.

— Bonjour, dis-je la voix tremblante, je viens pour porter plainte.

— Suivez-moi.

Il part sans même prendre le temps de regarder si nous le suivons. Je me tourne vers Liam, essayant d'y trouver un peu de courage pour me donner de la force. Ma détresse doit se ressentir à des kilomètres à la ronde. Le policier nous emmène dans un petit bureau à l'arrière du commissariat. Il s'assied sur une chaise et joint ses mains sur la table.

— Je vous écoute.

À cet instant, j'ai l'impression qu'une main vient comprimer mon cur, semblant l'écraser de toutes ses forces jusqu'à le réduire en poussière. Les mots ont du mal à sortir de ma bouche, mais après quelques bruits insonores, ils sortent enfin.

— Mon copain, ex-copain, me frappe.

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L'emprise du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant