🚢🖤Chapitre 7🖤🚢

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ℳℯ𝓇𝒸𝓇ℯ𝒹𝒾 𝒹𝒾𝓍 𝒶𝓋𝓇𝒾𝓁 𝓂𝒾𝓁𝓁ℯ 𝓃ℯ𝓊𝒻 𝒸ℯ𝓃𝓉 𝒹ℴ𝓊𝓏ℯ

Jungkook

Je suis concentré. C'est ma vie que je suis en train de jouer, il n'est pas question que je perde cette partie décisive.
Il est midi dix, le navire appareille dans cinq minutes.
Jimin fume compulsivement, il a réussi à persuader l'homme de comptoir de le laisser "emprunter" environ six paquets de cigarettes. Il pense certainement que mon camarade le rejoindra derrière le comptoir. Il peut toujours espérer, celui-là.

Je tente de me reconcentrer sur le jeu, cependant mes cartes sont nulles. Je fais un discret signe à mon meilleur ami. Il hoche la tête et commence à crier qu'il a vu un des joueurs tricher et s'agite. Il a toujours été très doué pour jouer la comédie. Nos points de vue sont différents car il appelle ça mentir. Peu importe ce que c'est tant que cette technique me permet de gagner du temps.

L'homme d'une quarantaine d'années qui se tient en face de Jimin s'énerve en montrant son poing. Cependant mon ami en a vu d'autres alors, pas impressionné pour deux sous, il clame qu'il ne veut pas jouer dans de telles conditions puis me fait un clin d'œil que je suis, heureusement pour nous, le seul à remarquer. Je me lève discrètement quand un deuxième homme m'attrape le poignet en me montrant ses dents ocre jaune pour me dire de calmer mon ami s'il tient à garder ses "charmants visage et derrière". Ils me dégoûtent. Enfin, nous sommes en 1912 ! Comment peuvent-ils penser à cela sans avoir aucun remord ou scrupule vis-à-vis de leurs femmes et enfants ? Nous sommes des hommes tout de même !

Cessant de leur prêter attention, je me dirige lentement vers la sortie, à proximité des bancs de bois sur lesquels sont entassés manteaux, écharpes, chemises de cuir et bien sûr poches à portefeuilles.
Je longe le mur et glisse ma main dans l'une d'elle tandis que mon meilleur ami continue son esclandre au milieu de ces gens assez douteux. Je dois me dépêcher, nous devons partir dans très peu de temps et laisser Jimin, entouré de ces mêmes personnes m'inquiète. Il monte dans les tours et je ne crains qu'une bagarre éclate.

J'empoigne les billets d'une main que je fourre dans ma chemise, prends celle de mon meilleur ami, attrape nos vestons achetés le matin-même puis sortons en trombe du pub. Nous courons, courons, certains billets s'échappent de mon chemisier, nous entendons les cris et injures des hommes avec lesquels nous jouions mais n'en ayant que faire, nous ne nous retournons pas, riant aux éclats. Nous nous élançons sur les quais au bord desquels le Titanic fait ses adieux à Southampton puis sautons sur la passerelle à moitié retirée tandis qu'au-dessus de nos têtes, des plateformes industrielles soulevaient de luxueuses voitures dont nous n'aurons jamais le plaisir de nous offrir.

Toujours est-il que nous nous écrasons sur le luxueux parquet du pont, aux pieds d'un membre d'équipage qui écarquille les yeux et nous demande si nous avons passé le contrôle sanitaire. Jimin lui rétorque que bien évidemment, nous avons été "vérifiés" et en voyant nos vêtements assez distingués malgré notre classe sociale, il efface son regard méprisant de ses yeux et un sourire vient redresser les coins de ses lèvres.
Il nous propose aussitôt des rafraîchissements que nous refusons plus ou moins poliment.
Il s'apprête à repartir dans la direction opposée à nous mais se retourne sans doute pour nous demander nos billets ou quelconque pièce d'identité que nous ne possédons ni l'un ni l'autre.
Je ne le saurai jamais puisqu'au même moment, mon camarade m'a poussé dans une alcôve, devinant les intentions du jeune homme hautain.

Une fois celui-ci parti, nous courons comme des fous sur le pont supérieur, nos sacoches battant sur nos jambes, nos cheveux que la brise discipline à sa manière, nos rires éclatants, qui contrastent avec le maintien des bourges que nous bousculons. Une fois, à la proue, nous arrêtons là notre course effrénée pour admirer ce paysage que nous ne reverrons plus jamais.
Le port de Southampton, ses usines lointaines, les façades richement décorées de ses hôtels particuliers et devant nous, les bars, les cafés, les ateliers des artisans, les petits commerces qui ont réussi à voir le jour grâce à leurs propriétaires qui ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche et qui se sont battus pour que leurs affaires fonctionnent. Ce sont eux que j'estime.
Les petits bateaux de pêche que Jimin aime tant observer, s'imaginant voguer sur l'un d'eux.
Les voitures arrêtées n'importe où sur les pavés des quais.
Les familles, les hommes, les femmes, les enfants, tous ceux qui font leurs adieux à leurs proches dont ils n'auront plus jamais la chance de recroiser le regard.
Les mouchoirs qui s'agitent, les sourires de véritable bonheur, les pleurs essuyés d'un revers de tissu.
Je vois toutes ces émotions face à moi et je ressens de la mélancolie. Ces gens, j'ai dû les croiser tant de fois sans m'en rendre compte.
Je n'ai pas tissé de liens avec eux.
Je ne leur ai rien apporté et eux non plus.
Je ne laisse rien derrière moi.
Mais aujourd'hui, à quelques minutes du départ vers ma nouvelle vie, ces nouveaux horizons, je me découvre de l'empathie à l'égard de ces personnes.
Après tout, certains ne pourront plus jamais serrer leurs enfants dans leurs bras, d'autres ne reverront jamais un ami cher et tellement d'autres possibilités sont envisageables !

Alors voilà, je me sens démuni.
Nous vivons dans une société dans laquelle les émotions ne doivent pas être dévoilées. Nous devons rester pudiques et totalement identiques les uns aux autres.
Mais face aux sentiments humains que j'ai devant moi, je ne peux m'en empêcher.

Je ressens ce face-à-face qui me perturbe et m'émeut.

J'ai toujours pris les choses trop à cœur. On me traitait de grand comédien ou autre sobriquet sordide.
Je ne sais pas dans quelle catégorie me classer, j'ai simplement toujours vécu ma vie trop intensément.
Cela fait rire mon ami mais cela l'agace par moments. Je suis trop sensible à ce qu'il paraît.

Malgré ce fait, comment peut-on rester de marbre devant tant d'émotions, tant de partage ?

Jimin m'assène une tape à l'arrière du crâne qui me fait grogner.

Qu'ai-je encore fait ?

- Hé Kook, tu m'écoutes ?
Je te disais, que nous n'avions personne à saluer !

Il désigne la foule agrippée aux rambardes agitant la main.
Cette même foule à laquelle je songeais à l'instant.

- Oh remarque, on s'en fout !

Il s'exclame puis crie des au revoir et des adieux en cachant tant bien que mal ses risettes provoquées par ses propres pitreries.

- Au revoir Jeannette ! J'aimais bien tes yeux mais le nez est à gommer !
Adieu Gilbert ! Je n'oublierai jamais la fois où tu as bu dix chopes d'un seul coup !
A jamais Jane ! Je regrette de ne pas avoir découvert ton anatomie plus que cela mais j'ai appris à me contenter de peu !

Il invente des noms associés à des souvenirs qui n'ont en réalité jamais existés. Quelques personnes présentes sur le pont à nos côtés se retournent vers nous et chuchotent ou bien, haussent les sourcils en écarquillant leurs yeux tandis que les enfants rient.
Je me prends au jeu, bien décidé à surpasser mon compagnon dans le domaine de la bêtise.

- Ophely, ton panier de fruits était exquis !

- Hé c'est mon délire ! Méchant lapin !
Hyppolyte, je m'excuse d'avoir pris ton portefeuille !

- RUTH REVIENS-MOI !

Une femme très bien vêtue, assez forte, d'une soixantaine d'années se retourne et cherche la provenance de l'appel de son prénom et Jimin éclate de rire en me disant que j'ai tiré le gros lot.
Vexé, je lui lance le défi de me devancer.

- WILLIAM TON CUL ÉTAIT SI BAISABLE !!!!!!

Nous surprenons le regard réprobateur du commandant sans doute, qui observe les passagers du haut de du pont réservé à l'équipage nous incitant à nous taire.

- D'accord, d'accord, tu as gagné, maintenant tais-toi, je t'en prie !

Il m'obéit, me prend dans ses bras pour une longue étreinte en me murmurant à l'oreille :

- " Merci pour tout Jungkook."

Les derniers bagages suspendus à de solides fils électriques finissent leur trajet, les cheminées crachent de la fumée noire puis un bruit assourdissant se fait entendre alors que nous sentons que nous bougeons. Des exclamations d'adieux fusent des différents ponts noirs de monde
Ça y est.
Nous partons.
Adieu Southampton.
Bonjour mon amour...

𝑻𝒊𝒕𝒂𝒏𝒊𝒄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant