𝖥𝗈𝗋𝖾𝗂𝗀𝗇𝖾𝗋'𝗌 𝖦𝗈𝖽 | 𝖵𝗂𝗄𝗂𝗇𝗀𝗌

𝟥𝟣. 𝘈 𝘱𝘳𝘢𝘺𝘦𝘳 𝘧𝘰𝘳 𝘢 𝘎𝘳𝘢𝘷𝘦

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La route était calme, leur marche silencieuse. Ragnar s'était fait bavard jusqu'à la sortie du village avant de battre en retrait. La fille avait besoin de temps afin de faire mûrir ses idées. Ce qu'ils s'apprêtaient à faire n'était pas une chose facile, pour l'un comme pour l'autre, bien qu'ils se le devaient mutuellement.

Empruntant ce chemin visité si souvent, les souvenirs lui brouillent la vue. Chaque petit détail semble s'être irrévocablement inscrit dans sa mémoire ; les arbres, les roches ... et tout ce qui les mène discrètement jusqu'à lui. Dernier cadeau d'une vie de douleur, nous lui avions permis de ne pas oublier ce dernier chemin vers la vie ; où du moins, ce qui reste de la sienne.

Dans quelques mètres, ils se retrouveraient enfin. Sentirait-il leur présence à ses côtés ? Ragnar n'en doute pas, Athelstan a toujours été là, dans le moindre rayon de soleil jusqu'au premier flocon d'hiver. Athelstan est dans le moindre signe de bonté, la plus faible trace de pureté. Il avait été un ami fidèle et quoiqu'il advienne, Ragnar sait qu'il l'accompagnerait pour cet ultime voyage.

Édith le suit quelques pas derrière, le regard fermement fixé sur ses pieds. Elle compte le nombre de branches cassées, les fleurs qui recommencent lentement à pousser. La vie reprend ses droits sur l'hiver qui ne tardera plus à balayer son adversaire. Bientôt, le temps leur permettrait de voyager : Ragnar partirait et cette vie si nouvellement gagnée changerait à nouveau.

Peu préoccupée par ses craintes d'avenir, son estomac n'en reste pas moins noué et sa gorge serrée. Elle devait l'accompagner, le voir pour le comprendre. « L'endroit est beau » , lui avait dit l'homme à l'orée de la forêt. Il s'était simplement abstenu de lui dire que cet endroit lui plaisait, à lui aussi, autrefois. Que c'est sur cette terre humide, où il avait creusé pour l'endormir, que son père lui avait appris à prier.

Alors qu'ils sont tout près d'arriver, une peur étouffante l'empêche d'avancer. Et si je ne suis pas prête ? Et si je regrette ? Cette crainte est stupide puisqu'elle a passé chaque jour à tenter de retrouver la trace qu'il avait pu laisser. Toutefois, depuis que les jeux sont faits, un couteau semble avoir laissé sa trace sur son cœur : et si le voir rendait la chose réelle ? Il lui faudrait définitivement renoncer à l'idée de le voir rentrer un jour.

Ses pas reprennent d'eux-mêmes le chemin de la raison. Elle doit s'y rendre ; il avait passé tant de temps à l'y attendre. La pente qui les sépare est douce, Édith la sent à peine. Une force inconnue l'aide à franchir les tout derniers mètres. Lorsque Ragnar s'arrête, le moment est venu.

L'homme l'avait imaginée plus jeune, plus frêle, comme un souvenir qui ne vieillit pas ; seulement sa fille, n'en était plus une. Ragnar l'avait trouvée grandit, le travail avait déjà été fait. La faire venir ici permettait de la protéger du sort, de lui apprendre comment survivre dans un monde qui s'acharnerait à tout lui prendre. Il avait insisté pour qu'elle apprenne à tuer, triste cadeau qu'il avait pu lui offrir.