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Le Drakkar aborde les côtes normandes en essuyant avec douceur les derniers remous des vagues qui, désespérément, continuent à essayer de le garder prisonnier. Des villageois aident les hommes à s'amarrer, tandis que d'autres – terrifiés – préfèrent s'éloigner de la berge.
Les visages sont fermés, tendus. Certains ont même du mal à croire ce qui se déroule sous leurs yeux. Ils l'avaient pensé mort, honteux et seul. Certainement pas entouré d'une armée, hache en main. Les rumeurs les plus folles commencent déjà à circuler, les uns comme les autres impatients de voir les conséquences que ce retour imprévu allait bien pouvoir susciter.
Ragnar est le premier à poser pied-à-terre. Nul n'ose prononcer un mot lorsque leur roi fait signe à ses guerriers de prendre place à sa suite. Les plus fidèles d'entre eux ont pris les armes, dans l'ignorance de tous pour le rejoindre. Ils ne sont pas nombreux mais ils sont revenus. Cela veut bien dire quelque chose. Ragnar est ici chez lui, que quelqu'un ose lui dire le contraire : l'Homme est prêt. Les légendes disaient donc donc vraies : Ragnar ne craint personne, si ce n'est peut-être lui-même.
L'armée s'avance et les habitants s'écartent. Ils marquent le pas sur le sol dur et froid. Edith marche coincée entre un carré de gardiens qui l'enchaîne. Mains et poings liés, la fille se présente comme une coupable. Sur le passage, certains hommes jettent des pièces, des coupes et d'autres reliques aux pieds de ceux qui sont restés. Les observant d'un air jaloux, ils contiennent leur envie et leur fierté. Le pouvoir est à celui qui est prêt à s'abaisser pour le chercher. Aujourd'hui, ils devraient en faire autant pour participer à leur victoire. Ils s'accroupiront devant eux. Remerciez nous pour notre sacrifice.
Vekja [Osez], semble leur crier Ragnar. Osez faire le moindre geste. Son peuple paraît l'entendre aussi distinctement que si une douzaine d'hommes leur avait ordonné. Nul ne bouge, chacun respirant à peine. Malgré l'appel de l'or, aucun mendiant ne se traîne jusqu'à lui. Une nouvelle fois, tous attendent. La fin approche, il le sente. Et dans la fin, vient le commencement.
Rapidement, une foule de curieux se dresse autour d'eux. Ragnar se fige, les juge. Avec prudence, Édith en fait de même. L'aura du roi lui permet de passer inaperçue, sa robe souillée dissimulée sous une épaisse cape noire gonflée par l'humidité. Dans l'expectative, les hommes et les femmes, les enfants et les vieillards, forment une sorte de cercle ou Ragnar semble être le centre de la terre. Ils gravitent autour de celui qui les a abandonnée durant si longtemps. Des sourires, des soupirs ... tant d'indices qui ne les guide en rien.
Son gardien tire vigoureusement sur ses liens. Nerveux lui aussi, il ne s'en rend pas compte. Il l'a tire derrière lui et la cache des regards. Pour l'instant, fixer le destin de Ragnar est amplement suffisant. La fille devrait prendre son mal en patience. Des femmes en larmes observent leurs maris se présenter sans pour autant dépasser la pudeur que leur inspire cette arrivée. Des enfants en bas âge agitent vigoureusement leurs mains afin d'attirer l'attention d'un père si souvent imaginé en rêves. Ces guerriers sont de retour, pourtant, leurs âmes ne sont pas libres. Leurs destins sont liés à celui de l'Homme qu'ils ont choisi comme Jarl, comme Roi. Et, jusqu'à la fin.
