1.34 : Perdu d'avance 👾

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🎧 Arcade - Duncan Laurence

J'ai cuisiné des pommes de terre au four avec de la viande blanche en sauce. Le plat préféré de mes petits frères. Je voulais que ce soit comme un jour de fête. C'est ce que je ressentais de toute façon.

À table, mon père n'a fait qu'observer. Je le connais, il n'est pas tout à fait tranquille. Mais les dés sont jetés. Jamais je ne reviendrai en arrière.

Pendant que je lave la vaisselle, j'entends rire Mel. Il est assis sur le tapis et joue aux cartes sur la table basse du salon avec Brooklyn. Il lui a expliqué les règles du black jack. Ils s'entendent bien tous les deux. J'ai l'impression qu'il veut gagner ses faveurs à tout prix. Ça me fait sourire. Petit malin !

Théo est sur le plan de travail et joue avec le téléphone de mon père. Tranquillement, il balance ses pieds dans le vide.

Le four a réchauffé tout le rez-de-chaussée. Et l'odeur chaleureuse du repas embaume toujours la pièce. La télévision projette un vieux film de gangsters.

Brooklyn me fait kiffer ma baraque.

— Cette fille n'est pas comme les autres, me dit mon père alors qu'il essuie une des dernières assiettes que je viens de laver.

— Oui, murmuré-je.

Je baisse le menton, cachant ma joie qu'il puisse enfin voir en elle ce que je vois.

— Je te l'avais dit, enchainé-je.

— Non, elle n'est vraiment pas comme les autres. Je crois qu'elle est autiste.

Ça me tombe dessus comme une masse d'une tonne. Je m'humidifie les lèvres avant de me tourner vers lui.

— Quoi ?

Il paraît désolé et je n'aime pas ça.

— Ça se voit, Cameron. J'ai vu une émission sur ces personnes-là. Brooklyn ne parle pratiquement pas, imite nos façons, nos sourires, et elle ne fait qu'analyser tout le temps.

Je n'arrive plus à faire le moindre geste. Elle est intimidée, c'est tout. Pourquoi va-t-il chercher la petite bête ?!

— Tu ne sais pas ce que tu dis.

Sa voix tendre et paternelle m'achève :

— Elle est si jolie que tu n'as pas remarqué, n'est-ce pas ?

Je grimace.

— Sa beauté n'est pas ce qui m'intéresse, envoyé-je, blessé.

Il voit que ça m'agace, pourquoi il insiste ?

— D'accord fils, ne fais pas attention à ce que j'ai dit. Si tu es sûr de toi, je dois me tromper.

Mon père pose la main sur mon épaule et la serre, mais je ne ressens plus rien. Il part s'installer auprès d'elle et Melvin.

Je pose tout, éponge et le reste. D'où je suis, je les scrute.

Si je suis sûr de moi, pourquoi ai-je l'impression que l'on me broie le cœur ?

Je vais m'installer sur le fauteuil, puis je fixe son profil. Décortique chacune de ses attitudes. Je n'arrive pas à chasser le doute qui s'est insinué dans mon esprit.

Il est pratiquement onze heures lorsque mon père monte pour coucher les jumeaux. Puis il redescend, ne s'attarde pas et va se coucher quelques minutes plus tard.

Elle est toujours sur l'autre canapé. Je pourrais presque jurer que n'importe quelle fille se serait rapprochée de moi. N'importe quelle fille regarderait le film au lieu de fixer les pieds de la table basse comme elle le fait.

Ça me détruit.

Je laisse le temps s'écouler. Si je n'étais pas là, ce serait du pareil au même. Elle ne cherche pas à parler avec moi, comme enfermée dans sa bulle.

Puis, après un moment, elle somnole. Sa tête tangue.

Je décide de m'approcher. Je quitte mon fauteuil pour m'installer devant l'accoudoir du canapé. Je place mon pied droit sur l'assise, lui prends les épaules et doucement, je l'attire entre mes jambes pour lui servir de dossier. Elle se laisse aller contre mon torse en soupirant, puis se pelotonne comme si c'était une chose naturelle. J'enroule mes bras autour d'elle. C'est bientôt la fin du film. Les minutes défilent et je sens son corps s'abandonner complètement contre le mien qui n'est que tourments et incompréhension.

Je récupère d'une main tremblante mon téléphone dans ma poche arrière et tape dans l'application Google : Autiste symptômes. Je trouve des centaines de résultats comprenant des vidéos, ainsi que des reportages à ce sujet.

Je lis dans un premier lien : Hypersensibilité sensorielle, intolérance au changement, rigidité mentale, intérêt restreint, éphémère ou insolite, difficulté avec les codes sociaux, mutisme inexpliqué, obsession, imitation, indifférence...

Stop. C'est trop.

Dévasté, je laisse tomber ma tempe contre ses cheveux et serre si fort mon téléphone que j'entends l'écran se fissurer un peu plus. Finalement, je pose l'appareil sur ma droite, ne supportant pas d'en lire davantage. Sous mes cils, je regarde défiler le générique à la télévision, mais à la place du texte, c'est un millier d'images de Brooklyn, de scènes vécues avec elle, qui se bousculent dans ma tête.

Et une seule question vient me tourmenter :

Est-elle capable de m'aimer ?


Under Your Appearance - S. 1 :  How a good boy becomes badOù les histoires vivent. Découvrez maintenant