Jamais je n'oublierai la nuit qu'elle a passée chez moi. Je n'ai pas fermé l'œil, mais pas pour ce que l'on pourrait croire.
À la faible lueur de la lumière du couloir, je l'ai regardée dormir jusqu'à l'aube.
Nos doigts et nos jambes se sont naturellement entrelacés.
Mes yeux suivant les courbes de son visage, elle était plus belle que jamais. J'avais trouvé un havre de paix auprès d'elle.
Je ne souhaitais pas qu'un autre jour se lève. Celui-ci me convenait bien. Je ne voulais pas que sept heures sonne sur mon téléphone, il fallait être fou pour penser que je pouvais arrêter le temps. J'avais envie de nous cacher, nous protéger des autres. De ceux qui savent si bien juger. J'avais peur pour elle. Peur de la voir pleurer, car je pourrais bien réduire à néant les coupables de son chagrin. Je déteste d'avance ceux qui pourraient la blesser.
Alors qu'elle reposait dans mes bras, bouche légèrement ouverte, dans mon t-shirt de baseball que je lui avais finalement prêté, j'ai su, sans le moindre doute, qu'elle était la femme de ma vie. Je ne jouais pas.
Après cette nuit, elle est souvent revenue chez moi. Pas pour dormir — ses parents n'ont plus découché —, mais pour se reposer un peu après de longues séances photos, par exemple. D'ailleurs, elle rentrait chez moi sans frapper. Elle avait sa place dans ma vie, dans ma famille. Elle apportait cette beauté qui illuminait chaque pièce dans laquelle elle entrait. Elle s'installait sur le canapé. Nous regardait. Riait parfois. Le plus souvent, elle gardait le silence quand c'était le souk. Peut-être qu'elle feintait certains moments, mais quand elle me souriait, je savais qu'elle ne faisait pas semblant. Sa douceur, sa peau, sa présence, je vivais pour ça.
Comme ce dimanche : allongé sur mon lit, j'étais au téléphone avec un pote. Elle est entrée dans ma chambre. Sans rien dire, elle s'est allongée tout contre moi, en chien de fusil, et a sombré dans le sommeil. Elle s'était encore levée très tôt. Et j'avais de plus en plus de mal à encaisser son train de vie. Je me taisais, mais au fond, je bouillonnais. Vu qu'elle avait abandonné l'école, elle avait repris le rythme dingue des shootings, parfois même le samedi et le dimanche. Ce n'était pas une vie. J'avais le sentiment que ses parents l'utilisaient, l'usaient. Elle murmurait souvent, lorsque je ne pouvais cacher mon agacement :
— Ce n'est pas grave. Je suis heureuse grâce à toi.
Grâce à toi... jamais rien entendu d'aussi beau.
Alors aujourd'hui, comme toujours, je stoppe toute activité. Je ferme le livre que je dois lire pour les examens, rabats le tissu de la fenêtre de toit et m'allonge auprès d'elle. Je la serre fort dans mes bras en regardant impuissant le jour qui décline et appréhendant que vienne l'heure pour elle de rentrer. Personne ne sait que l'on sort ensemble. D'ailleurs, nous ne nous sommes pas encore embrassés. Ce n'est pas que je ne veuille pas assumer notre relation ou m'afficher, mais il y a ce truc qui plane. Ce truc qui me dit que ce qu'il me reste à affronter est plus fort que moi, que nous. L'étau se resserre. M'empêchant de respirer.
— Je veux rencontrer tes parents, lui ai-je déclaré un jour.
Elle m'a répondu "d'accord". Le plus dur était de ne pas pouvoir deviner ce qu'elle pensait à ce moment-là. Je voulais me présenter à eux car je respecte leur fille. Je ne voulais pas leur mentir, je déteste tromper. Je lui ai promis que tout se passerait bien, mais ce n'est jamais facile de promettre quand on n'est sûr de rien.
J'attends qu'elle se décide, mais le temps défile et je ne vois aucune opportunité. Je me mens à moi-même, j'attends qu'elle me fasse confiance en réalité. Je regarde parfois le manoir pendant que, assis sur le perron, j'enfile mes baskets pour sortir voir mes potes. Ce bâtiment me nargue, me refusant son entrée. Bref, rien n'a changé, la fin des cours est dans un mois et je suis fatigué de me taire.
J'ai envie de hurler mon amour pour elle. C'est tout. Je lui prouve chaque fois que je la vois. D'ailleurs, je n'ai pas manqué de lui avouer que j'avais eu cette chance inouïe d'avoir trouvé la fille de mes rêves et que, au-delà de tout ce que j'avais toujours voulu dans ma vie, elle seule me suffisait.
Très posément, elle m'a expliqué qu'il y avait d'autres facteurs plus statistiques que la chance. Qu'il faudrait calculer le nombre de personnes que j'allais potentiellement rencontrer dans ma vie : entre mille et dix mille selon elle. Multiplier ce nombre par le pourcentage de filles, mais qu'il fallait alors que je sois certain de ne pas être attiré par les garçons. Prendre la proportion de ces personnes que j'étais susceptible de côtoyer, le pourcentage de l'âge que je souhaitais, et aussi prendre en compte si je cherchais un caractère ou un physique spécifique, car plus j'avais de critères, plus le résultat serait bas.
Autant vous dire qu'elle m'a perdu à ma potentielle homosexualité.
Bref..., mon calcul à moi était beaucoup plus simple : j'avais une seule chance sur sept milliards d'hommes et de femmes. Car oui, j'étais difficile. La barre était très haute. Parmi tous les êtres humains résidants sur cette terre, je ne voulais que Brooklyn Becker.
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Under Your Appearance - S. 1 : How a good boy becomes bad
RomanceDisponible en version complète sur Amazon Mannequin depuis le berceau, Brooklyn n'a que six ans lorsqu'elle est élue la "plus jolie petite fille du monde". Sous son apparence parfaite et l'indifférence du monde adulte, son trouble autistique est fac...