Le lendemain j'avais été transféré de l'autre côté, je passais donc dans le service ouvert après dix-huit jours passés dans le service fermé. Mes habitudes allaient être changées, les repas se faisaient désormais tous ensemble, même si on mangeait tous très écartés les uns des autres en vue de respecter les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement pour limiter la transmission du Covid-19. Ce qui était le plus difficile pour moi c'était de me retrouver face à tant de monde, il y avait vingt-trois autres patients dans ce service, je me sentais vulnérable à chaque instant. J'essayais de rester un peu en retrait face à toutes ces personnes, je ne me sentais pas à ma place ici. J'eus de brefs échanges avec certaines et certains d'entre eux, peu de choses intéressantes. Mise à part peut-être une discussion avec une autre patiente, bien plus âgée que moi, qui semblait tout connaitre de la vie et du temps qui passe :
- Petit, je ne vais pas te le cacher, j'ai toujours eu le désir de durer, j'ai toujours craint la mort et lutté contre elle . Mais tu sais le fait qu'en fin de compte il faut mourir quand même, beaucoup l'on démontré, comme mon mari l'a fait en quittant ce monde à l'âge de soixante-treize ans. Pauvre Claude... Et bien ça fou un coup au moral et ça remet tout en cause...
J'écoutais ces paroles comme un môme à qui on raconte une histoire avant qu'il aille se coucher. Ce qu'elle disait me semblait pertinent, et je ne voulais en aucun cas l'interrompre. Elle tira une taffe sur sa cigarette et continua :
- Je voudrais te dire aussi qu'il y a eu dans ma vie beaucoup de curiosité, de penchant à l'amusement, de goûts pour les distractions et tout ce qui s'en suit. Et il m'a fallu un certain temps avant de m'apercevoir qu'un jour il faudrait cesser de jouer. Le sérieux naît d'une surestimation du temps. Moi aussi gamine j'ai surestimé la valeur du temps, et c'est pour ça que je voulais vivre cent ans. Mais tu sais dans l'éternité, le temps n'existe pas, tout est figé. L'éternité n'est qu'un seul instant.
Un seul instant, l'éternité. Ces paroles eurent pour moi beaucoup d'importances, elles venaient comme un premier amour, me surprendre au milieu de tout ce chaos. Le renversement des choses, comme un tsunami qui chamboule le court de la vie de milliers de personnes. Cette femme qui semblait être passée par les fonds de la vie, elle qui commençait à subir le temps, m'a au cours d'un instant figé sur place. Je ne savais pas ce que je pouvais lui répondre ni si je devais le faire car terminer cette discussion par un long silence était peut-être mieux. Elle m'inspira pour les prochains jours du reste de ma vie. Depuis ces paroles j'allais vivre en me disant que ce que je vivais là c'était comme du temps supplémentaire à la fin d'un match, mais un temps supplémentaire qui s'arrêtera sans que je connaisse la date.
C'était donc ça l'autre côté ? Des personnes âgées malades de la vie, qui l'ont déjà expérimentée et en ont goûté la douleur. Ils me semblaient tous sage derrière leur folie, qui les as emmenés ici. Certains étaient là depuis six ans déjà, et d'autre cela faisait qu'un mois. Qu'UN mois, cela me paraissait être déjà très long. Il fallait que je sorte, mais d'abord que je m'améliore, que je m'améliore pour entretenir une discussion, que je m'améliore à faire des choix, car j'ai tellement hésité et si peux choisi au final. Je devais réussir à affronter le monde ici, mais également à l'extérieur, derrière ces murs. Il n'était plus possible que je m'enfuis de chaque relation à cause de ce que les voix qui résonnent en moi me hurlent. Je ne dois plus m'effacer et les laisser prendre le dessus sur mon esprit car sinon je m'effacerais de nouveau, les laissant prendre le contrôle de mon corps immobile et de mon esprit non libre. Il fallait vraiment que je garde les idées en place et que je ne me laisse pas attirer par tous ces démons qui me laisse que peu de répit.
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La psychiatrie
Non-FictionDeuxième fois que je suis hospitalisé. Désormais j'ai dix-huit ans et je suis interné sans mon consentement dans le service des adultes, en psychiatrie aigüe. De longues journées passent, remplies de solitude, de remises en question, et d'obligati...