Déjà plus de dix jours que je suis enfermé ici, je commence à avoir certaines habitudes. Comme cette clope après le repas, au moment où mon traitement fait effet et que tout est plus subtile. Une cigarette, une bouffée de nicotine. Je marche dans ce que les soignants appellent le patio, et il neige. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas laissé mes empreintes derrière moi. Je me sens léger comme je ne l'avais été depuis une longue période. Je parcours ces 20m2 de long en large, je ne ressens ni le froid ni la tristesse qui m'envahit. Je reste calme. L'Homme n'est point capable de penser dans une grande mesure, l'Homme le plus intelligent d'entre les humains ne voit le monde et surtout ne se voit lui-même qu'à travers les lunettes de formules naïves, falsificatrices. A quoi bon perdre des mots, à quoi bon dire des choses que chaque être pensant doit savoir lui-même mais qu'il n'est pas d'usage d'exprimer ? Je commence à entrevoir, toujours plus proche, toujours plus précis, le fantôme que je crains. Comment leur expliquer que je veux retourner, rentrer chez moi, m'immobiliser en face du désespoir ? Toujours plus proche, mon cœur battant furieusement, je ressens la peur des peurs. Bien que la souffrance et la désolation s'amoncèlent autour de moi, bien que rien ne fût plus capable de m'insuffler de la joie et de l'espoir, je ressens désormais, en dépit de tout, une inexprimable horreur de l'exécution, du dernier instant, de l'entaille froide et béante dans ma propre chair.
Mais je ne vois pas comment fuir ce que je redoute. Si dans la lutte entre désespoir et lâcheté, c'était le désespoir qui triomphait une fois de plus, demain et tous les jours de souffrances reviendraient, accru par le mépris de moi-même. Je ne dois pas mourir.
J'essaie de me raisonner moi-même comme un enfant apeuré. Mais l'enfant n'écoute pas, il s'enfuit, il souhaite mourir et tout arrêter. Il ne se voit pas grandir, il ne se sent pas capable d'évoluer. Dernière bouffée de nicotine, la cigarette est finie, la promenade dans cet étroit endroit est terminée. Soudain un être humain, un être bien vivant, brisait la morne cloison de ma solitude mortelle, me tendait une autre cigarette. Il me tendait la main, ferme et chaleureuse. Comme pour m'extirper d'un cauchemar qui durait depuis bien trop de temps. Soudain de nouveau, des choses qui me touchaient de près, des choses auxquelles je pouvais penser avec joie, anxiété, avec excitation. Soudain une porte ouverte, par laquelle la vie venait à moi.
Alors peut-être que je pourrais revivre, redevenir un homme.
VOUS LISEZ
La psychiatrie
Kurgu OlmayanDeuxième fois que je suis hospitalisé. Désormais j'ai dix-huit ans et je suis interné sans mon consentement dans le service des adultes, en psychiatrie aigüe. De longues journées passent, remplies de solitude, de remises en question, et d'obligati...