Prologue

179 19 25
                                    


Les filles –les garçons, je ne sais pas, je n'en suis pas un-, les filles, donc, ont l'habitude, alors qu'elles sont enfants, de se projeter dans le futur, pour imaginer la vie qu'elles voudraient vivre. Leur existence idéale. Je crois qu'on ne fait même pas ça consciemment, on y pense, et elle a un déroulement bien particulier.

Pour ma sœur, ses rêves se passaient dans une ferme. Elle épouserait un brave homme, exploitant agricole, et ils auraient des tas d'enfants qui joueraient dans les champs, un brin de paille à la bouche. Ma meilleure amie de l'époque, Laetitia, accro à la télé, gavée à Beverly Hills et Pretty Woman, voulait épouser un homme riche, ne s'imaginait que dans une immense maison, avec un dressing qui ferait la taille du HLM dans lequel elle vivait. Elle aurait une voiture de sport, passerait ses après-midi à faire du shopping dans des boutiques de luxe. Elle changerait de prénom d'ailleurs. Juste Titia, ce serait bien plus classe, et en phase avec sa nouvelle vie de femme riche.

Aujourd'hui, la première a suivi son ingénieur de mari à Séoul où elle est prof au lycée français. Elle n'a même pas de jardin. Aux dernières nouvelles, la seconde a divorcé, elle est secrétaire administrative dans un obscur service public du val d'Oise, et peine à joindre les deux bouts.

Pour ma part, je n'ai jamais eu de grands rêves. Je voulais une vie normale. Quand je fermais les yeux, je voyais une petite maison, avec un jardinet. Un bon mari, deux enfants, un garçon et une fille, et peut-être un troisième, parce qu'il faut bien un peu d'improvisation. Une vie simple, mais mes enfants seraient sages, gentils, sûrement blonds. Mon mari et moi, on serait très amoureux. Le soir, on mangerait des coupes de chocolat liégeois glacé comme dans la pub, en faisant goûter l'autre dans sa cuillère. On rirait. On serait recouvert d'un plaid blanc cassé, devant la cheminée. C'est un peu bizarre, glace et cheminée dans le même fantasme, mais peu importe.

Aujourd'hui, j'ai tout ça, moins la glace. Un mari adorable, une fille puis un garçon, mais pas de troisième, l'improvisation, ça va bien cinq minutes. Nous vivons dans un charmant pavillon de banlieue, assez grand pour que nous n'y soyons pas entassés, pas trop, pour que je ne passe pas tout mon temps libre à y faire du ménage. Si, dans un test de personnalité, je devais définir ma vie actuelle, je dirais qu'elle est à 100% conforme à mes rêves de jeunesse, si ce n'est qu'on regarde la télé le soir, on lit ou on fait l'amour, au lieu de se donner la béquée en gloussant, et c'est quand même moins niais.

Avec le recul, c'est évident que c'était trop beau, trop facile.

Il a suffi d'un coup de fil pour que tout parte en vrille.

L'amour à l'imparfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant