Chapitre 6 : Simon

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Chaque jour, je guette mon téléphone, l'appel, le message qui me dira que c'est trop tard. Depuis vingt ans, je me demande ce que je ressentirai. Je suis persuadée que ça ne me fera ni chaud ni froid, et mon absence de réaction depuis la nouvelle de sa maladie ne fait que le confirmer. Mais si je me trompais ? Si, en apprenant sa mort, je m'effondrais, parce que ce sera trop tard, définitivement trop tard, pour recoller les morceaux ?

Presque un mois et demi s'est écoulé depuis l'appel de ma mère, et je suis toujours incapable de me décider à aller le voir, lui passer un coup de fil, et j'ai l'impression d'attendre que le temps, ou le destin, fasse le choix pour moi.

Depuis la promesse d'Olivier, la vie a repris son cours, tout est à nouveau normal entre nous. On bavarde, on s'embrasse, on rit, on fait l'amour, comme avant. En apparence, rien n'a changé. Pourtant, je sens comme un poids dans ma poitrine, sans pouvoir en déterminer la cause. Je ne sais pas si c'est de l'amertume, de la culpabilité, ou l'épée de Damoclès au-dessus de la tête de Marc. Parfois, je me demande si Olivier le ressent aussi, s'il est aussi bon comédien que moi. Ne pas pouvoir partager ça avec lui me rend malheureuse, et quelque part, je lui en veux, de faillir pour la première fois dans son rôle d'époux parfait. C'est de sa faute si je suis obligée de chercher du réconfort ailleurs.

Je n'ai trouvé que cela pour noyer ma culpabilité.

Simon et moi avons prévu de nous retrouver tôt, pour profiter de la soirée. Il m'a manqué lors de ces quatre dernières semaines. Plusieurs fois, j'ai eu envie de lui envoyer un message, de prendre de ses nouvelles, lui raconter des anecdotes, comme si nous étions amis. Mais je m'en suis empêchée, à cause de l'impression persistante que ce serait ce pas là qui ferait tout basculer, qui marquerait vraiment le début de mon infidélité.

Il m'attend un peu plus loin dans la rue, devant le restaurant italien que j'ai choisi pour dîner. Malgré son âge et les années, il est habillé presque comme un adolescent, un jean clair, un tee-shirt blanc, une veste en cuir. Son petit côté rock qu'il a gardé, tellement à l'opposé de la classe tranquille de l'homme que j'ai épousé.

Il sourit en me voyant, son sourire qui plisse ses yeux, et m'embrasse sur les joues quand je m'approche, avant de me serrer contre lui. C'est inattendu, presque étourdissant, et, la surprise passée, je me laisse aller en passant moi aussi mes mains dans son dos.

— Pardon, Juliette... c'est juste que j'en avais envie depuis qu'on s'est revus. Je suis tellement content, tu sais, même si c'est un peu étrange, ces circonstances, de devoir se cacher... mais je suis heureux.

— Moi aussi, je suis heureuse, même si je t'avoue que c'est un peu compliqué pour moi à gérer.

Simon ouvre la porte du restaurant, puis me suit à l'intérieur. Le serveur nous installe à une table et c'est seulement là qu'il pose ses deux mains croisées sur la table et demande :

— Compliqué pour quoi ?

Je reste un instant les yeux baissés sur ses doigts fins. Il porte toujours sa chevalière, celle qu'il avait déjà autour de l'index au lycée. C'est bizarre, une bague à l'index, ça doit gêner. Il n'a pas d'alliance en revanche, mais je sais que Delphine et lui ne se sont jamais mariés. Ils ont deux enfants, une fille et un garçon, comme Olivier et moi. Le choix du roi. Il m'avait annoncé leur naissance par sms, et nous les avons déjà évoqués ensemble lors de notre entrevue précédente. Arthur, l'aîné, a huit ans. Plus tard, il voudrait être astronaute. Léna, bientôt six ans, est passionnée d'équitation depuis toujours.

— Compliqué parce que je déteste mentir à mon mari. Nous avons vraiment un couple stable, et nos rendez-vous secrets déséquilibrent tout.

J'ai l'impression de me justifier devant lui. Il reste impassible.

L'amour à l'imparfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant