Chapitre 12 : Simon

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Après quelques jours, Layla a décidé, comme son frère, de nous accompagner chez Marc. Je craignais qu'une fois le choc de la révélation passé, elle ne m'en veuille de lui avoir menti si longtemps, de l'avoir privée de celui qui est, malgré tout, son grand-père. Mais non. Elle et son frère sont comme d'habitude et ne sont pas revenus sur le sujet, comme si le fait de découvrir que mon père n'était finalement pas mort n'était que purement anecdotique. C'est moi qui leur ai reparlé de la visite, et ils m'ont répondu d'un ton neutre, à la limite de l'indifférence, comme si je leur avais parlé d'une vieille tante éloignée. Il faut croire que Marc fait cet effet à tout le monde.

Olivier sera là aussi. Il y tient, probablement pour veiller sur nous, et montrer à mon père qui il est, peut-être aussi pour le rassurer : sa fille est entre de bonnes mains. Je crois que c'est aussi une manière d'assurer son rôle de « chef de famille ». Je déteste cette expression moyenâgeuse, je déteste ce statut. Mais Olivier a tant fait pour moi ces derniers temps que s'il a besoin de cela pour asseoir sa place de mari et de père, je veux bien le lui laisser. Et puis, je suis contente aussi qu'il vienne avec nous. La situation est assez anxiogène pour moi, j'ai honte de son intérieur, appréhende ce moment et la rencontre entre Marc et mes enfants. Je ne suis même pas restée dix minutes la dernière fois, arriverais-je à tenir plus longtemps ?

Nous avons convenu que nous y retournerions le dimanche suivant. Je me suis procurée le numéro de mon père via ma mère, et l'ai prévenu. J'avais un instant pensé à lui téléphoner depuis le poste fixe de mon bureau, mais je préférais me contenter d'un sms, et de toute façon, même si je n'aimais pas l'idée qu'il ait mon numéro de portable, il ne risquait pas de l'utiliser très souvent. J'ai envoyé un message laconique, auquel il a répondu rapidement, de manière toute aussi concise. Pas de remerciement, d'éclat de joie. Je regrettais presque. Mes enfants sont formidables, ils se méritent, les rencontrer est un honneur, et il avait l'air de trouver ça normal. Même après tant d'années, Marc n'avait pas fini de me décevoir. A la limite, c'était presque rassurant. Je ne m'étais pas trompée sur lui.

Je revois Simon ce soir. Je l'ai rappelé hier à Olivier, et même s'il a toujours du mal à se faire l'idée, il a acquiescé sans histoire, sans chantage ni reproche. Mon mari vaut de l'or.

Je sens son regard sur moi au petit déjeuner, je vois les questions au bord de ses lèvres, je perçois son radar silencieux sur la tenue que je porte. Mais il ne dit rien. Seul, son langoureux baiser, comme une prière silencieuse, au moment où je pars avec les enfants, puis ses yeux dans les miens, me disent sans mots combien il m'aime, et combien c'est difficile pour lui.

— Je ne rentrerai pas tard, soufflé-je, pour faire un pas vers lui. Mais il sourit, un sourire sincère.

— Le vendredi, c'est ta soirée. Tu rentres quand tu veux. Bonne journée mon amour.

Il m'offre cela aussi. Il me débarrasse de la culpabilité de sa souffrance.

C'est une belle journée de printemps. Il fait vraiment beau, je propose à Simon de nous retrouver sur une terrasse pour profiter de la chaleur vespérale, inespérée pour la saison, et boire un verre avant d'aller manger. Je redoute de le revoir, vu la manière dont nous nous sommes quittés, vu ce qui s'est passé, vu ce qui s'est dit. Et en même temps, les choses ont tant évolué dans ma vie dans ce court laps de temps, j'ai hâte de lui raconter. Je m'aperçois combien, en quelques rencontres, la présence de Simon m'est devenue indispensable, et en même temps, je suis soulagée d'être au clair avec lui et peut-être surtout avec moi-même. J'aurai probablement toujours des regrets, mais cela appartient définitivement à mon passé, et je suis enfin prête à l'accepter.

J'arrive avant lui, et choisis une petite table encore au soleil dans un des bars qui peuplent la place pavée où nous avons rendez-vous. Je commande un verre de vin blanc que je sirote en regardant passer les quidams. Beaucoup de personnes seules, quelques groupes d'amis, des couples. Une vieille dame avec un chien et un accordéon, c'est une SDF que j'ai souvent vue. Elle s'arrête au hasard des rues piétonnes pour un peu de musique contre une pièce ou deux. Elle a le regard décidé, elle semble savoir où elle va. C'est bête, mais cela me réconforte un peu.

L'amour à l'imparfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant