Chapitre 14 : Olivier

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Dans la voiture, tout le monde reste silencieux. Mon mari, surtout semble tendu, soucieux. Je me demande ce qu'il pense, et les questions me brûlent les lèvres, mais je sais que s'il se tait, c'est parce qu'il ne veut pas aborder le sujet devant nos enfants. Je me tourne alors vers eux, assis sagement à l'arrière. Layla regarde par la fenêtre. Elle me semble mélancolique, presque triste. Milan, au contraire, guettait le feu vert, et à ma question, un simple « ça a été ? », il largue les amarres. Cette maison, tellement sale et en désordre, il n'avait jamais vu ça, ah maman, tu me laisserais pas avoir une chambre comme ça, hein, et je me suis ennuyé, y a pas de jouets, il y avait un chat, mais j'ai pas réussi à le caresser.

— Et lui ? je demande.

Milan se tait subitement, hausse les épaules.

— Tu peux tout me dire, insisté-je. Je ne vais pas me fâcher.

— Je crois que je l'ai pas trop aimé.

— Tu as le droit.

Layla n'a toujours pas dit un mot, elle ne réagit pas, laissant son regard se perdre par la fenêtre. Mes poings se serrent. J'ignore ce qui se passe dans sa tête, mais une fois encore, Marc crée le désordre partout où il passe. Il a même réussi à rendre ma fille malheureuse.

Elle monte dans sa chambre dès notre arrivée à la maison. J'hésite un instant, puis je souffle à mon mari

— J'y vais.

Il acquiesce silencieusement.

Je frappe deux petits coups à la porte de chambre, et entre. Son univers Harry Potter. Les livres, en piles dans sa bibliothèque ou son chevet, qu'elle relit inlassablement. Les dessins sur les murs, la photo encadrée, elle en Hermione Granger, lors de sa fête d'anniversaire à thème. Même l'avis de recherche de Syrius Black, affiché sur son armoire.

Elle est allongée sur le lit, les yeux sur son plafond blanc sur lequel nous avons collé des étoiles fluorescentes qui brilleront ce soir, quand le soleil sera couché.

— Mon amour, est-ce que ça va ? demandé-je tout doucement en m'asseyant près d'elle.

Elle se tourne vers moi, et ouvre la bouche, pour la première fois.

— Est-ce qu'on est obligés que ce soit notre grand-père ?

Je mets un moment à trouver les mots.

— C'est ton grand père, Layla, comme c'est mon père. Ce sont les liens du sang, et on ne peut rien y faire. Alors, oui, on est obligés, Mais au final, ça ne change rien. De père, de grand-père, il n'en a que le nom. Ce qui compte, ce sont les actes, l'amour, pas le nom, tu comprends ?

— J'ai pas aimé être là-bas.

— Je m'en suis doutée. Pourquoi ne me l'as-tu pas dit avant ? On serait partis plus tôt.

Elle hausse les épaules, se recouche sur le dos.

— Je ne sais pas, j'ai pas osé. C'était la première fois qu'on y allait, je me suis dit qu'il fallait être polis. On va devoir y retourner ?

— Je lui ai dit que s'il avait envie de nous revoir, il pouvait m'appeler. Mais deux choses, mon cœur. Je ne te forcerai à rien. Si tu ne veux pas le revoir, tu ne seras pas obligée. On ne lui doit rien. Et de toute façon, je mets ma main à couper qu'il ne téléphonera pas.

— Pourquoi tu dis ça ? Il ne nous a pas aimés ?

— Si, je pense que si. Mais il devrait faire le premier pas, et ça, c'est trop difficile pour lui.

— Tu crois ?

— J'en suis sûre. Les gens ne changent pas.

Quand je rejoins le rez-de chaussée, Olivier est en train de faire réviser ses mots de dictée à Milan. Il a vidé le lave-vaisselle, et préparé le goûter des enfants pour le lendemain. Je me glisse derrière lui, et passe mes bras autour de sa taille, pose ma joue contre son dos, son corps si rassurant, que je connais par cœur, avec lequel je ne fais qu'un. Il me rend mon étreinte, mais dans ses gestes, dans son silence, je perçois toute sa souffrance, même si à cet instant, je ne sais pas encore ce qu'elle englobe.

Ce n'est qu'après le coucher des enfants qu'il se livre enfin. Nous racontons l'histoire à tour de rôle, ce soir, c'était mon tour. Milan a choisi « dragon chéri », l'histoire d'une petite fille aventurière qui adopte un dragon. Layla est trop grande pour cet album, mais elle l'écoute pourtant avec plaisir. Viendra le jour où ils ne partageront plus assez d'intérêt pour les histoires des uns et des autres, mais pour l'instant, Laya est heureuse de retrouver des aventures qu'elle a aimées plus jeune, et Milan adore découvrir les lectures qui passionnent sa grande sœur lorsque c'est elle qui choisit.

Mon fils sur les genoux, sa sœur contre ma hanche, assise sur le lit de ma grande, je lis. Olivier, comme souvent, nous observe depuis la porte, l'épaule contre le chambranle. Je lève un instant les yeux vers lui, il ne sourit pas. Son regard nous couvre comme un voile protecteur. Je serre mes enfants plus fort et reprend le fil de l'histoire avec dans mon cœur la certitude que je suis exactement où j'ai envie d'être.

Une fois les enfants « bonnenuités », nous redescendons dans la cuisine pour finir de débarrasser la table. Mon mari est toujours taciturne et je respecte son silence. C'est un calme, il a toujours été ainsi. Il parlera quand il en aura besoin, quand il sera prêt.

Je remplis le lave-vaisselle tandis qu'il lave la table et quand je relève la tête, je le vois en train de m'observer. Je fronce les sourcils, alors il avale le mètre qui nous sépare, prend mon visage dans ses mains, avec toute la délicatesse dont il est capable. Ses yeux plongés dans les miens, je le sens ému, hésitant, comme s'il ne parvenait pas à trouver les mots. Alors, il use d'un autre langage et il m'embrasse, un baiser long, tendre, langoureux, du genre de ceux que nous échangeons plutôt au creux de notre lit que devant le lave-vaisselle ouvert. Puis il pose son front contre le mien, sans me lâcher.

— Juliette... finit-il par murmurer. Je t'aime comme un fou.

Je me recule brusquement, inquiète.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Parce que c'est vrai. Je le sais, tu le sais aussi, mais je crois qu'aujourd'hui, j'ai réalisé encore à un niveau supérieur combien les enfants et toi vous m'étiez essentiels. Vous êtes mon monde, le centre de ma vie. Aujourd'hui, j'ai eu un aperçu de ce que tu m'as raconté, et j'avais beau y être préparé, ça a été dur à encaisser.

— Et encore, il s'est bien tenu. Ce n'est rien à côté de ce qu'il a pu être.

— Peu importe, j'ai compris. Je suis désolé, mon amour, de ces années où je t'ai mis la pression pour que tu ailles vers lui. Jamais je n'aurais pensé... Pardon.

— Ça n'a aucune importance. C'est derrière nous maintenant.

— Tu vas le revoir ?

— Pour cela, il faudrait qu'il appelle, et je peux te garantir que ça n'arrivera pas. Sa fierté sera toujours plus forte que l'envie de voir ses petits-enfants.

Mon mari me considère un moment gravement, et ferme les paupières en signe d'assentiment.

— Je crois aussi.

Il me serre plus fort contre lui, alors, je répète ce que j'ai dit à ma fille quelques heures plus tôt.

— Les gens ne changent pas.

L'amour à l'imparfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant