Chapitre 17 : Marc

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127 jours. Quatre mois et des poussières.

Juin.

Ça ne pouvait être que juin. Le mois de la libération. Le bac, mes 18 ans, la mort de mon père.

J'ai reçu le message de ma mère un mardi soir, en plein rush de fin de journée, quelques jours avant mes trente-huit ans. J'étais en train de vider le lave-vaisselle et mettre la table en même temps pendant qu'Olivier faisait réciter la table de X8 à Layla tout en surveillant l'omelette sur le feu.

Mon téléphone, posé sur un coin du plan de travail, a bipé, je n'y ai pas fait attention. Quelques minutes plus tard, j'ai vu qu'il s'agissait d'elle, je n'ai pas ouvert, on allait passer à table, et chez nous, pas de mobile pendant les repas. Peut-être que je savais très bien ce que contenait son sms, et que je différais juste le moment de l'ouvrir, de savoir.

Je ne l'ai fait qu'au moment de débarrasser, quand les enfants sont montés se brosser les dents.

Un message sobre, laconique. Quelques mots, enveloppés dans du coton, comme pour ne pas heurter.

Ton papa s'en est allé ce matin. Il est au funérarium de la rue Lothaire, si tu veux y aller. Bisous ma chérie, je suis là si besoin.

Olivier a vu, a compris, et est venu m'entourer de ses bras, nicher son front dans le creux de mon cou, sans un mot. Nous en avons longuement parlé le soir, mais finalement, ce qui me faisait le plus mal, c'était bien cette absence de douleur. Mon père était mort, et ça n'avait aucune importance pour moi, comme je m'en doutais. Je ne ressentais pas le moindre regret, le moindre pincement au cœur. Un inconnu.

Une fois Olivier endormi, j'ai ressorti mon vieux journal intime, caché sous des bouquins dans le tiroir de ma table de chevet. Je l'ai rouvert, et feuilleté une partie de la nuit, souvent les larmes aux yeux. Marc, Simon, Olivier. La dernière fois que j'avais écrit à l'intérieur, je sortais depuis quelques mois avec celui qui allait devenir mon mari, l'homme de ma vie.

Ces lignes ont retenu mon attention : Ne pas souffrir, ce n'est pas moins pire que de souffrir. On se demande ce qui ne va pas, ce qui ne tourne pas rond.

Finalement, je me suis posée, sentimentalement parlant. J'ai découvert le vrai amour, avec tout ce que cela peut englober en termes de concessions, de travail, d'efforts mais c'est pour ça que c'est si beau. Parce que ce n'est pas facile.

Mais rien n'a changé concernant Marc. Certaines choses ne se pardonnent pas, et j'en ai la confirmation aujourd'hui. Il est mort, et hormis cette sensation étrange de chagrin absent, je ne ressens qu'une puissante libération. C'est fini. Comme si sa mort effaçait par la même occasion les souffrances causées à l'adolescente que j'étais. Ce n'était pourtant pas grand-chose. Pas de violence physique, pas d'inceste. Mais peu importe, que mes raisons soient bonnes ou non, justifiées ou non, c'est ce que je ressens, et je n'ai pas à en avoir honte. J'ai le droit au bonheur, et c'est tout ce qui compte.

Mon mari pense que ça viendra plus tard. Un jour, un mot, une chanson, une photo, un souvenir, provoquera un déclic, et les larmes, peut-être, la douleur de la perte. Je n'en suis pas si sûre. Le deuil de mon père est fait depuis longtemps.

Je me suis également demandé quoi faire vis-à-vis de Simon. Je pouvais envoyer un message à Yanis, lui dire de le mettre au courant. Et finalement, j'ai laissé tomber l'idée. A aucun moment Simon n'avait demandé à être prévenu de la mort de Marc. Il savait que ça arriverait vite, quelques jours, quelques semaines après notre dernière entrevue, et cela ne changeait rien. Il n'avait rien réclamé, hormis de le laisser en paix. Il avait droit à ça, il l'avait bien mérité.

***

J'ai attendu le lendemain pour en parler à Layla et Milan. J'avais peut-être besoin de me familiariser un peu avec cette nouvelle, et aussi de savoir ce que j'allais faire. Devais-je aller à l'enterrement ? Ce serait pour moi l'occasion de revoir toute une partie de ma famille sur laquelle j'avais tiré un trait. Mais je n'avais pas envie de les voir, ni de rendre cet hommage à Marc. Mes enfants m'aideraient à prendre la meilleure décision pour nous.

Le mercredi midi, nous déjeunons tous les trois, avant le ballet des activités extra sportives, judo et anglais pour ma fille, natation et solfège pour son petit frère qui veut apprendre à jouer de la batterie, à mon grand désarroi.

Nous avons mangé, terminé le dessert, débarrassé, puis avant de les envoyer chercher leurs affaires, je les ai retenus un moment, pour leur annoncer la mort de Marc. Ils n'ont pas paru particulièrement affecté. Milan a demandé s'il avait eu mal. Je n'en savais rien, mais j'ai brodé en disant qu'il prenait des médicaments très puissants qui l'empêchaient de souffrir. La vérité n'est pas toujours utile, surtout pour un petit garçon de six ans, particulièrement sensible. Layla s'est inquiétée de savoir si nous devrions aller à l'enterrement. J'ai répondu que non, sauf si elle le souhaitait, mais non, bien sûr que non. Ils n'avaient pas besoin de dire au revoir à un inconnu. Notre décision était prise.

Alors, c'est ce mercredi 17 juin, sous un soleil un peu capricieux, que j'ai définitivement dit adieu à Marc et Simon, dit adieu à mon passé.

Pour la première fois de ma vie, j'étais prête à ne vivre que dans le présent.

L'amour à l'imparfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant