Invite-moi pour Noël

Chapitre 20

Garance

En fin de matinée, nous présentons enfin le projet au client. Malgré les répétitions, je ne peux m'empêcher d'être stressée et je ne peux pas en parler à Joaquim qui est coincé dans une réunion. Dès mes premiers pas dans l'entreprise, je ressens une tension inhabituelle. Le manager arrive en ouvrant la porte à la volée, j'ai un mouvement de recul involontaire et Anne-So vient faire front avec moi.

— Garance, tu es convoquée aux ressources humaines.

Il ressort aussitôt après son annonce. J'échange un regard avec Anne-Sophie.

— Tu penses qu'ils ont reçu la lettre de l'avocate ?

— Il y a de grandes chances, murmure-t-elle. Tu veux que je t'accompagne ?

Je secoue la tête.

— Non, ça ira. J'espère seulement ne pas tomber sur Édouard sur le chemin.

Elle serre fort ma main par compassion et je quitte la pièce. Je me dirige vers la partie du bâtiment que je déteste emprunter, la dernière fois que je l'ai parcouru, c'était pour ma mise à pied. Je prends une profonde respiration et entre dans le bureau du RH. Il m'invite à m'asseoir sur la chaise en face de lui. Je m'installe et le regarde ouvrir la lettre de mon avocate.

— Mademoiselle Dumond, je vous ai convoqué après avoir reçu une lettre de votre avocate. J'ai appris par ce biais que vous avez déposé une plainte pour harcèlement sexuel contre Édouard Boucher. Je vous avoue que je suis étonné par les révélations dont parle votre avocate, j'ai repris votre dossier et il est noté à seulement deux endroits que vous m'aviez reporté que certains propos de ce dernier vous mettait mal à l'aise. Il y a bien sûr eu la gifle que vous lui avez infligée, mais j'ai eu très peu d'informations sur votre réaction. Si, pendant votre mise à pied, votre collègue Anne-Sophie n'était pas venu nous en dire un peu plus sur la situation, je n'aurais pas eu d'autre choix que de vous renvoyer. La violence est proscrite au sein de cette entreprise. J'ai pris rendez-vous avec votre avocate pour faire le point sur le dossier et voir quelles mesures peuvent être prises. Tous nos employés doivent travailler dans une ambiance la plus saine possible.

Je reste un instant sans réaction, le temps que l'information remonte à mon cerveau.

— Il y a seulement deux remarques dans mon dossier ?

Il plisse le nez avant d'acquiescer.

— J'ai envoyé dix-huit mails, j'ai demandé quatre fois un rendez-vous et il n'y a que deux notes ? La plupart de mes messages n'ont pas eu de réponses ou alors une laconique qui me disait de recontacter votre prédécesseur une autre fois. Quand j'ai essayé d'en parler au manager, le harcèlement a augmenté. L'ambiance au sein de cet entreprise est loin d'être saine. Vous étiez là à la première présentation du projet sur lequel je travaille avec Joaquim, vous avez entendu le manager me traiter d'empotée alors que j'avais plusieurs points de sutures sur la main. Juste avant la réunion, il est passé dans mon bureau pour m'enfoncer une nouvelle fois, mais jamais il ne m'a proposé de m'aider. Quand il a appris que Joaquim m'avait demandé de travailler avec lui sur le projet, il a tout fait pour que je n'en fasse pas partie alors que j'avais sacrifié une partie de mes vacances pour nous puissions rendre le travail dans les temps. Comme il n'a pas réussi à faire changer d'avis Joaquim, il fait tout pour me pourrir la vie, ma charge de travail a triplé, je dois corriger l'orthographe d'autres dossiers sur lequel je ne travaille pas, il passe toutes les demi-heures me demander ce que j'ai fait ou pour voir les graphismes sur lesquels je travaille et les critiquent un à un. Quand je lui ai demandé de me laisser travailler au lieu de me faire perdre mon temps, il m'a menacé d'ajouter mon manque de coopération dans le rapport annuel.

Mon interlocuteur me fixe un long moment avant de soupirer et de se prendre la tête entre les mains.

— On m'avait prévenu que cette entreprise avait de gros problèmes. Depuis que j'ai repris le poste de mon prédécesseur, j'en découvre tous les jours. Je vais convoquer votre manager pendant la présentation au client. Vous aurez l'esprit libre, c'est la seule chose que je puisse faire aujourd'hui avant de rencontrer votre avocate. Vous pouvez retourner vous préparer pour l'entretien.

Je le remercie avant de partir retourner à mon bureau, soulagée d'avoir été, pour la première fois depuis longtemps, écoutée par un de mes supérieurs. Je passe devant le bureau d'Édouard ce dernier ouvre la porte au même moment. Je résiste à l'envie de baisser les yeux et soutiens son regard. Ses yeux lancent des éclairs, une veine bat contre sa tempe, il referme sa porte avec force. Je rejoins mon bureau où apparait un sourire sur mes lèvres, le poids qui alourdissait mes épaules depuis des mois s'envole. Je regrette qu'Anne-So, Tim et Joaquim ne soient pas là pour se réjouir avec moi.

Anne-Sophie et Timothée me retrouve une demi-heure avant la présentation, je leur explique brièvement mon entrevue. Mon amie s'exclame :

— Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais je retrouve foi dans cette entreprise. Je vais attendre encore un peu pour savoir ce nouveau RH* va enfin prendre les mesures que son prédécesseur a mis sous le tapis depuis des années.

La porte du bureau s'ouvre et Joaquim nous rejoint. Il me serre contre lui et me demande :

— Prête ?

J'acquiesce, il m'embrasse rapidement. Anne-So nous charrie pendant que nous rassemblons mes affaires pour nous rendre dans la salle de réunion. Ils nous souhaitent bonne chance quand nous sortons. Une fois dans la salle, Joaquim s'étonne de l'absence du manager, je lui raconte mon entretien.

— Au moins, il ne viendra pas tout gâcher.

Nous échangeons un sourire, la main de Joaquim vient se placer un instant au creux de mes reins. L'ouverture de la porte de la salle nous interrompt dans notre rêverie, nous écartons l'un de l'autre pour respecter une distance plus professionnelle, les clients entrent et s'installent face à nous. La présentation peut enfin commencer. Pendant une demi-heure, nous expliquons le projet de A à Z chacun notre tour, puis nous répondons aux questions pendant les quinze minutes suivantes. Le client nous félicite chaleureusement :

— Vous avez de l'excellent travail, Mademoiselle, vos idées sont excellentes.

Il se tourne ensuite vers un de nos supérieurs.

— Faites attention à ce qu'elle reste parmi vous. Plusieurs concurrents vont essayer de vous la voler.

Il félicite également Joaquim avant de sortir. L'un des responsables commerciaux lève un pouce en l'air à notre destination puis accompagne les clients à la sortie. Nous nous retrouvons seuls, Joaquim me prend dans ses bras et m'embrasse, je lui rends avec passion son baiser.

— Je te propose de t'inviter au restaurant pour fêter notre réussite.

— On passe prendre Anne-So et Tim ? Plus on est de fous, plus on rit.

Il acquiesce et nous partons retrouvons nos collègues pour partager ça avec eux.

*RH : ressources humaines