Chapitre 15

26 6 0
                                    


La neige avait disparu depuis plusieurs jours des toits de Lengelbronn. Le temps était à présent humide, grisâtre. Les étendues blanches et poudreuses s'étaient noyées dans une pluie froide, et étaient maintenant remplacées par des rues boueuses.

Dans la demeure citadine des Hautebröm, on restait au chaud, à l'abri des frissons de l'hiver et des regards.

Tous les yeux de l'Empire et du monde étaient ces jours-ci rivés sur Giselle et sa famille. Chaque matin, un petit groupe de gens s'amassait dans la grande avenue bordée d'arbres, au pied de l'entrée de la maison. Malgré la pluie et le froid, dans l'espoir d'apercevoir Giselle, les curieux jouaient des coudes. On se tenait sur la pointe des pieds au moindre frémissement de rideaux, à la moindre ombre glissant derrière les fenêtres.

Un brouhaha incessant était né dans leur rue, d'ordinaire paisible. Les passants et les voitures ne pouvaient plus circuler aisément sur la chaussée, déjà trempée par la neige fondue. On s'interpellait donc et on jasait tel un après-midi de foire, serrés sous des parapluies, les cols remontés jusqu'aux oreilles.

Giselle était indifférente à cela. Elle restait penchée au-dessus de son bureau, calmant son esprit en alignant sur un papier de qualité, les dessins de lettres magnifiquement manuscrites.

La calligraphie était l'un de ses loisirs préférés. Il détendait ses muscles, nettoyait son cerveau de pensées superflues. Absorbée dans sa tâche, elle n'entendait plus les appels des journalistes et des sujets de Dalstein.

En trempant sa plume dans l'encre, elle réfléchissait. Devait-elle faire employer un architecte pour le pont qui avait été détruit sur leurs terres ? Le prix deviendrait alors exorbitant, mais les habitants du Duché s'attendraient sûrement à la construction d'un bâtiment de ce genre, pour fêter son mariage.

 Devait-elle faire employer un architecte pour le pont qui avait été détruit sur leurs terres ? Le prix deviendrait alors exorbitant, mais les habitants du Duché s'attendraient sûrement à la construction d'un bâtiment de ce genre, pour fêter son m...

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Hier, elle avait discuté avec des ingénieurs pour mettre en place des digues et des barrages le long de la rivière. Son père avait écouté d'une oreille distraite. Il était déjà prévu que le Duc paie les indemnités aux paysans ayant perdu leurs terres.

Je ne pense pas que les plus grandes villes de notre duché aient besoin d'un nouveau monument, je devrais plutôt favoriser celles qui sont aux frontières...

Le duché de la famille de Giselle était riche, leur région étant l'une des plus développées de l'Empire.

Le regard de Giselle glissa sur sa bague, et sur sa pierre en énerite. Les rivières sur leurs terres leur permettaient de fournir assez d'énergie pour faire fonctionner les machines les plus importantes.

Peut-être devrais-je convaincre père d'investir dans de la poussière d'énerite ? Les populations isolées en ont le plus besoin... Il faudrait demander aux Barons de faire un rapport...

Un bruit fracassant la fit sursauter, elle ne put s'empêcher de risquer un regard à sa fenêtre. Dehors, un accident sembla avoir eu lieu.

Par la Mère, voilà qu'un fiacre vient de renverser le chariot du vendeur de soupe qui s'est installé là ce matin !

La jeune femme soupira.

Elle appela Constance. La bonne arriva promptement, sans cesse sur le qui-vive.

— Je vais sortir en ville, préparez mes vêtements, je vous prie.

— Bien votre Grâce, où allez vous ?

— Je pense travailler à l'extérieur et me rendre à la Chambre des Commerces. Proposez également à mon père de venir.

— Votre père siège aujourd'hui à l'Assemblée, votre Grâce.

Gisèle réfléchit quelques instants, elle avait oublié qu'en ce moment, il s'y rendait tous les jours.

Sans doute pour recevoir à ma place toutes les félicitations et les hommages...

— Demandez à Iphigénie et à Léonie, dans ce cas.

Constance retint un geste de surprise. Il n'arrivait jamais à sa jeune maîtresse de penser à sa belle-mère et à sa demi-sœur. La servante serra légèrement un pan de sa robe et hocha la tête.

Gisèle regarda sa bonne partir et commença à se préparer à sortir.

Depuis le bal, elle sentait Léonie distante et froide. Avait-elle dit quelque chose qui l'avait froissée ? Gisèle ne pouvait décemment pas laisser la situation ainsi, elles s'ignoraient d'habitude, ou plutôt étaient indifférente l'une de l'autre. Elles n'avaient rien en communs, mais tout était bien comme ça, il ne fallait pas que cet équilibre naturel soit rompu par sa faute.

Après tout, c'est moi la plus expérimentée des deux, je ne dois pas me montrer...

— Madame et Mademoiselle ne sont pas disponibles pour vous accompagner, annonça Constance à son retour.

— Ah. Tant pis, j'irais chez Dusan après ma visite en ville.

Constance habilla Gisèle en quelques minutes d'un ensemble cintré à jupe longue. Le tissu, coupé dans une laine douce d'une couleur gris clair, était élégant et sage. Son veston, cousus pour sa taille fine, possédait une encolure qui découvrait sa nuque et des manches garnies de dentelles.

Pour sortir en journée, Gisèle appréciait les tenues pratiques et dans des tons en accord avec les saisons. Elle se savait petite et privilégiait donc des longueurs de jupes adaptées à ses jambes et à ses activités. Pour contrer la pluie, elle enfila une pèlerine assortie.

Avant de quitter les lieux, la fille du duc déposa son courrier sur le plateau réservé à la correspondance de la maison. Elle remarqua que plusieurs lettres étaient déjà là.

Elle mit ses gants, Constance termina d'épingler un chapeau à large bord sur sa tête et le son de la berline à l'extérieur lança son départ.

— Que la Mère veille sur vous, votre Grâce, dit le Majordome Clovius.

Gisèle ouvrit son parapluie, ignorant les cris et les appels des passants qui faisaient le pied de grue depuis des heures pour l'apercevoir juste un instant.

Elle jeta un regard désolé aux deux gardes impériaux, trempés jusqu'aux os, chargés de l'escorter et entra dans la voiture en mesurant sa chance d'être au sec.

En chemin jusqu'à la Chambre des Commerces, la jeune femme pria les Dieux pour que les pluies ne fassent pas plus de décrues.

— Par Ménée, si cela ne tenait qu'à moi, je serais déjà de retour sur nos terres. Il y a encore tant à faire avant mon départ. Je déteste que les choses soient à moitié faites. Heureusement qu'il n'y a que des champs qui se sont retrouvés sous l'eau ! Ah, Dieu Lykion, faites que le temps passe plus vite !

Gisèle se rappela du nombre de jours à voir défiler avant de pouvoir retourner à Hautebröm. Il fallait dans tous les cas qu'elle fasse ce trajet, afin de recevoir les hommages de sa mère avant son mariage. Elle serra des dents.

La journée de Gisèle se déroula exactement comme cela le fut décrit dans les journaux du lendemain. Elle partit pour la Chambre des Commerces en fin de matinée, et déjeuna dans un restaurant en compagnie d'anciennes camarades de son club de musique. Elle se rendit ensuite chez son fiancé pour travailler loin de l'agitation des indiscrets flâneurs de sa rue.

Après s'être fait annoncer chez Dusan, Gisèle patienta seulement quelques minutes. Le majordome ouvrit la porte et l'observa avec une expression qu'elle eut du mal à comprendre.


Le sang de l'Impératrice [ EDITE EN LIBRAIRIE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant