Le permis de tuer

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Ce matin, je n'ai besoin de rien ni personne pour me réveiller. Ce fichu stress s'en charge. Conscient que je ne pourrais pas me rendormir, même avec la plus grande volonté du monde, j'écarte les couvertures et cède à ces paupières ouvertes qui me trahissent.

Comme tous les matins, la première chose que je fais est de me regarder dans la glace, et, comme d'habitude, ma coiffure est impeccable dès le réveil. Je me passe tout de même un coup de brosse puis mets du gel, comme mon père m'a appris à le faire et comme je compte le faire jusqu'à ce que je sois autorisé à utiliser ma baguette chez moi.

Je n'ai pas le temps de me doucher. Tant pis, je le ferai en arrivant au château. Je retire mon pyjama et enfile mon uniforme : hors de question qu'un Malfoy se change dans le train comme un clochard !

Je vérifie que toutes mes affaires soient bien empaquetées et ma chambre bien rangée, ce qui est inutile, car nos elfes de maison s'occupent de tout à la perfection.

Je me compose un visage sûr de moi puis descends les escaliers pour me rendre dans le salon du manoir familial.

Le salon est situé au parfait opposé de ma chambre et, même après onze ans d'existence dans cette maison grinçante et terrifiante, je continue de la trouver immense, bien que j'aie appris à ne plus me perdre en cherchant la sortie.

Connaissant le chemin par cœur, je n'ai pas besoin de réfléchir, mes jambes se conduisent d'elles mêmes. Je traverse un couloir aux murs couverts de tapisseries moyenâgeuses aux teints vert et argent délavés par le temps, pousse une porte, marche encore puis me retrouve dans une pièce circulaire.

Le salon. Me voilà enfin arrivé !

La pièce en question est grande - chose inutile à préciser - et lumineuse. La baie vitrée qui s'étale sur tout le côté gauche offre une vue splendide sur le jardin, et plus particulièrement sur l'orangerie, le lieu préféré de mon père. Le parquet est fait d'un bois clair qui illumine la pièce. Une grande table ronde au bois trône au milieu, couverte de paniers et plats contenant tout ce que l'on peut vouloir manger pour un petit déjeuner, allant des viennoiseries aux fruits, en passant par toutes sortes  de pains et de spécialités régionales - peu appétissantes, on connait tous la gastronomie anglaise... De nombreuses étagères remplies de livres encadrent et perfectionnent le décor.

Tout cela me donne l'impression de vivre dans un autre siècle, et j'aime bien ça. Un autre siècle, dans lequel la guerre n'aurait pas existé. Le manoir est un espace hors du temps sur lequel les évènements extérieurs n'ont aucune influence.

Mes deux parents sont déjà attablés et semblent perdus dans leurs pensées. Lorsqu'il me voit arriver, mon père pose sa tasse puis m'adresse un sourire rassurant.

Beaucoup de gens n'imaginent pas Draco Malfoy sourire, et encore moins de manière rassurante. Mais moi, c'est mon père et j'ai la chance de connaître cette facette de lui malgré ses rares apparitions.

Draco Malfoy me désigne la chaise placée en face de lui, et je m'assois. Il reprend sa tasse et boit le liquide fumant et brun qu'elle contient. Du café, sans doute. Les Malfoy sont tous - sans exception depuis la découverte du café - addicts à cette boisson caféinée.

Ma mère, voyant que mon père n'est pas décidé à parler, me demande :

- Bien dormi, Scorpius ?

J'hoche la tête en signe d'affirmation, puis me sers un bol de compote avec de la cannelle (mon péché mignon au petit déjeuner) et une tranche de pain au maïs. Je n'ai pas faim, mais je vais me forcer. Ne pas manger, c'est la pire des choses que l'on peut faire lorsque l'on stresse. Le sachant, je demande tout de même :

- Maman, je n'ai vraiment pas faim. Je vais me forcer, mais il n'y a vraiment rien à faire ?

Ma mère esquisse un sourire doux, puis répond :

- Si c'est la rentrée qui t'inquiète, on peut en parler. Tu as peur de quoi ?

Je me mords la lèvre. Qu'est-ce que je dois répondre ? Je choisis la franchise :

-Tu penses vraiment que j'ai une âme de Serpentard ?

Ma mère esquisse un sourire doux et ignore le sursaut de mon père.

- Scorpius... Je pensais que ce serait l'aspect social qui t'inquièterait.

- Ben...

- Là non plus, tu n'as aucune crainte à avoir. Tu vas trouver des amis, j'en suis sûre.

Mon père intervient :

- Sauf si ce sont des Londubat, des Weasley ou encore des... Potter.

Il avait prononcé ce dernier mot comme une insulte. Son visage accompagnant ses paroles, il affiche un air de dégoût profond. Je sais qu'il n'aime pas les Potter, et plus particulièrement Harry Potter, mais je ne l'ai jamais vu faire cette tête.

- Eux, tu les évites, ou bien tu leur fais des croche-pieds dans les couloirs...

Ma mère semble prendre sur elle pour ne pas se mettre en colère.

- Pour les Weasley et les Potter, je t'accorde le permis de tuer.

Alors là, je ne comprends plus rien. Je jette un coup d'œil à ma droite, et vois que ma mère semble scandalisée, comme si mon père venait de lui annoncer que j'allais finalement partir pour Dumstrang, comme s'il avait violé un accord commun.

- Le permis de tuer, reprend mon père sans lui jeter un coup d'œil, ne signifie pas que tu as le droit de tuer tes charmants camarades, mais seulement que tu as le droit de te battre contre eux pour une raison que tu estimes suffisante...

- Chéri ! s'exclame soudain ma mère.

- ... Il y a tout de même certaines règles à respecter. Tout d'abord, tu dois agir de la manière qui te semble juste et je t'estime assez mature pour t'en rendre compte seul. Ensuite, tu ne dois pas détruire son adversaire non plus, même si tu en as les capacités...

- Draco ! s'écrie à présent ma mère, affolée et en colère.

- ... Laisse-moi finir, Astoria, répond mon père. Troisièmement et dernièrement, tu dois assumer tes actes et leurs conséquences, positives....

Il me fait un clin d'œil.

- ... Ou négatives, aussi graves soient-elles.

Cette fois-ci, ma mère s'est carrément levée. Mon père daigne enfin lui jeter un vague coup d'œil, puis il se tait.

Ma mère lui dit, d'une voix calme, comme toujours - ou presque - :

- Mais enfin ! Draco ! Laisse-le faire ses propres choix, forger sa propre opinion ! Tu lui accordes ce permis sans même savoir ce qu'il va en faire !

Draco a un petit rire méprisant puis répond froidement :

- Tu sais, Astoria, si je ne le fais pas moi, Potter s'en chargera. Et si Scorpius ne leur mène pas la vie dure, c'est eux qui le feront. Je les connais. Toi pas.

Mon père se lève, les joues plus rouges que d'habitude. Ma mère, quant à elle, le regarde s'en aller, puis disparait à sa suite peu après.

Et je me retrouve seul avec mon bol de compote et ma tranche de pain. Encore une journée qui commence bien...




Journal d'un serpentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant