Chapitre 11

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-Il est vraiment adorable et il a une telle maturité pour son âge ! S'exclame Sophia en faisant l'éloge de Caleb.

Ces derniers temps, elle passe beaucoup de temps avec lui et ne cesse de me dire à quel point ce petit l'impressionne. Je ne l'ai jamais vu se comporter comme ça avec les autres enfants. Lorsque je lui fais remarquer, elle s'arrête de parler un instant puis continue plus calmement.

-C'est que...En fait je me retrouve beaucoup en lui...

-Comment ça ?

-Je...Moi aussi je suis venue ici sans ma famille...

Je repense aussitôt à ce qu'Emmanuel m'a dit lors de la fête de bienvenue. Lorsqu'il m'a dit qu'il n'était pas rare de voir des enfants arriver sans leur famille, je ne pensais pas que Sophia en faisait partie.

-C'est vrai que tu ne m'as jamais raconté comment tu avais rencontré Emmanuel !

-Non et je t'avoue que je ne voulais pas en parler au début...Mais tu es quelqu'un en qui j'ai confiance alors je peux t'en parler maintenant.

Ce qu'elle dit me touche.

-Vas-y raconte-moi !

-J'étais un peu plus âgée que Caleb quand je suis arrivée ici...Rien ne me prédestinait à cette vie. On habitait dans un HLM mes 3 frères et sœurs, mes parents et moi. Mon père est parti du jour au lendemain quand j'avais 5 ans. Nous étions dévastés...Ma mère devait nous gérer seule, elle a essayé de nous porter dans notre chagrin en plus de se porter elle-même...Elle n'avait expliqué la situation qu'à mon grand-frère parce qu'il était le plus à même de comprendre. Ça a été très compliqué pour lui, il a voulu prendre les choses en main en pensant qu'il se devait de remplacer mon père dans la famille. Ma mère le laissait faire parce qu'elle n'avait plus les forces de gérer ça seule...A seulement 14 ans il s'est mis à travailler pour qu'on ne se retrouve pas en foyer...

Sophia marque une pause. Je pose ma main sur son épaule pour l'encourager à continuer.

-Il a commencé à développer une certaine colère envers mon père parce qu'à cause de son départ, il a dû mettre sa vie entre parenthèses pour tenir son rôle alors qu'il en était incapable. Lorsqu'on parlait de lui, il nous disait qu'il était mort et ma mère ne l'en empêchait pas parce que c'était plus facile pour nous de croire qu'il était mort plutôt que de digérer le fait qu'il nous ait abandonné. Mais moi je ne le croyais pas, j'avais beau être petite, j'avais très bien compris ce qu'il se passait !

-Tu en voulais à ton père ?

-Non, il me manquait surtout. Tu vois, je savais qu'il était parti mais au fond de moi j'avais l'espoir qu'il revienne...J'étais un peu naïve.

-Hum...

-Le quotidien a commencé à être compliqué parce que la colère de mon frère retombait sur nous. Lorsqu'on avait des mots de l'école disant qu'on ne se comportait pas bien, il nous passait un savon, il refusait que l'on devienne un poids de plus pour ma mère. Mon petit frère qui était dyslexique s'est pris pas mal de coups et c'était terrible parce qu'on ne pouvait pas en parler à notre mère sous peine d'obtenir bien pire...Il fallait se tenir à carreaux et obéir. Je ne supportais plus cette vie, je voulais me réveiller et me rendre compte que tout ça n'était qu'un cauchemar...Un soir j'étais près de ma fenêtre et j'ai hurlé à mon père de revenir parce que je pensais que c'était la seule solution pour que tout rentre dans l'ordre. Je pensais naïvement qu'il pourrait m'entendre mais...Il n'est pas revenu...En revanche, un homme est venu...

-Emmanuel ?

-Exact. C'était un soir où je rentrais seule de l'école parce que mon frère travaillait tard ce jour-là. Il est venu vers moi en me disant "Bonjour Sophia" et je ne comprenais pas comment il pouvait connaître mon prénom :  je ne l'avais jamais vu ! J'ai eu peur alors j'ai baissé le regard et j'ai commencé à marcher très vite parce que c'était ce que ma mère m'avait appris à faire si un inconnu m'abordait dans la rue. Mais il m'a dit "je t'ai entendu crier près de la fenêtre hier". Je suis restée figée, je ne comprenais pas comment c'était possible, étant donné que la fenêtre était fermée ! Je lui ai demandé s'il savait où était mon père, il m'a répondu que oui. Je voulais en savoir plus, je voulais qu'il lui dise de revenir à la maison mais il ne me répondait pas. Il me parlait de son père à lui, il me disait que si je voulais, il pouvait être mon père à moi aussi. Je ne savais pas quoi répondre...

-Qu'est-ce que tu as fait ?

-J'ai fini par repartir en disant que je ne pouvais pas laisser ma famille. Il m'a dit que son père pouvait également être le leur et là j'ai tressailli. A ce moment là, j'avais 8 ans et j'ai pensé que c'était la solution : un nouveau père pour que mon grand-frère retrouve une vie d'adolescent normale et nous un repère. J'ai couru jusqu'à chez moi et j'en ai parlé à mon frère dès son retour. Mais au lieu de se réjouir, il m'a sermonné en me disant que je n'avais pas à parler à un homme que je ne connaissais pas dans la rue, que je ne mesurais pas le danger que ça pouvait représenter...J'avais beau lui dire que cet homme n'était pas mal intentionné, il ne voulait rien entendre !

-Il pensait te protéger...

-Oui voilà. Les jours d'après, il venait me chercher à chaque sortie d'école. Un jour, Emmanuel est revenu. Mon frère était remonté, il a commencé à lui hurler dessus. Emmanuel est resté calme et doux comme à son habitude et il lui a proposé de nous présenter son père mais il lui a assené qu'on se débrouillait très bien tout seul et qu'on avait besoin de personne, ce qui était totalement faux !  Mon frère a alors pris mon poignet pour me ramener à la maison mais je lui ai résisté. Je me suis débattue en lui disant que je voulais partir avec Emmanuel. Comme j'étais une fille, il ne me frappait pas il se contentait de me hurler dessus. Il m'a crié que j'étais trop petite pour comprendre que c'était de la folie de le suivre, que je ne me rendais pas compte de la réalité des choses...

-Et qu'est-ce que tu lui as répondu ?

-Je lui ai répondu qu'il n'était pas mon père pour décider pour moi. Et...C'est la première fois qu'il m'a giflé...Après ça il m'a dit que c'était soit Emmanuel soit eux et que si je choisissais Emmanuel ce n'était plus la peine de revenir. Je ne savais pas quoi faire. Moi qui pensais avoir trouvé la solution idéale au final, je me retrouvais en mauvaise posture...J'ai regardé Emmanuel, son regard bienveillant m'a rassuré et m'a convaincu. Je sentais qu'avec lui je ne risquais rien. Alors je me suis dirigée vers lui sous les cris de mon frère et j'ai espéré très fort qu'un jour, mon petit frère et ma petite sœur le suivraient aussi...

Elle s'essuie les yeux. Je lui tends un mouchoir.

-Et, est-ce que tu as regretté ta décision ?

-Jamais, j'ai trouvé tout ce dont j'avais besoin ici. Je sais que dis comme ça, mon choix peut sembler précipité mais j'étais une enfant et la situation était devenue trop pesante, je n'ai pas réfléchi, j'ai foncé.

-Je comprends.

Enfin je crois, c'est impossible pour moi d'imaginer ce qu'elle a pu endurer. Jamais je n'aurais pu imaginé qu'elle avait vécu tout ça...


Affranchie Tome 3 : TransforméeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant