Chapitre 4

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Le jour de la disparition de Mia :

Henri, caché derrière les lourds rideaux de velours vert du salon, était persuadé d'avoir trouvé la meilleure cachette du monde pour que sa mère ne le trouve pas. Celle-ci faisait semblant de ne pas avoir vu ses orteils dépasser et déambulait dans la maison en l'appelant pour de faux.

- Mais où peut bien être mon petit garçon, je ne le vois plus !

L'enfant se collait les mains sur la bouche pour que sa mère ne l'entende pas glousser. Aussi discrètement qu'un petit garçon de 7 ans en est capable, il écarta le rideau pour voir où était sa maman. Leurs regards se croisèrent brièvement alors il rabattit le rideau qui bougea jusqu'à la tringle, trahissant évidemment sa présence. Mais sa mère continua de faire comme si elle ne savait pas où il était.

L'enfant avait beaucoup de mal à trouver le sommeil la nuit, il avait dormi presque tout l'après -midi, par petits bouts, somnolent devant un dessin animé sans le son le reste du temps. Alors, à presque deux heures du matin, tandis qu'elle était épuisée d'avoir veillé toute la journée, surveillant sa respiration, fixant sa poitrine qui se soulevait et s'affaissait, elle jouait à cache-cache avec lui jusqu'à ce qu'il ait envie de dormir. Leurs journées étaient rythmées par la santé fragile du garçon, ils vivaient hors du temps.

Avant qu'elle ne s'approche des rideaux pour le trouver enfin, elle vit par la fenêtre que ses voisins remontaient l'allée jusqu'à sa porte d'entrée, l'air grave. Les devançant, elle ouvrit la porte.

- Marion, est-ce que tu as vu Mia ?

- Mia ? Non, pas depuis ce matin. Elle est venue chercher l'argent que je lui devais pour les courses qu'elle a faites pour moi hier. Mais ensuite, je ne l'ai pas revue. Pourquoi ?

Alors, Louis, le solide gendarme d'1m90 posa ses poings sur ses hanches et se pencha un peu en avant, on aurait dit qu'il allait vomir toute sa peur. Mais au lieu de ça, son visage devint rouge, et des larmes coulèrent. À côté de lui, sa femme, Estelle, serrait ses poings tremblants contre sa poitrine en suppliant Marion du regard. Comme si en le voulant assez fort, sa fille allait sortir de la maison et lui dire qu'elle était juste là, juste à côté depuis toutes ces heures.

- Mia a disparu, articula douloureusement Louis. Elle devait rejoindre Maxime mais à mi-chemin son phare de vélo s'est éteint. Alors elle a téléphoné à Maxime pour lui dire qu'elle allait être en retard, mais elle n'est jamais arrivée. Il a voulu la rejoindre mais il n'a trouvé que son vélo et son manteau dans le fossé ... On ne sait pas où elle est.

Un petit curieux était sorti de sa cachette. Appuyé contre le mur, il ne laissait dépasser que la moitié de son visage. Il n'avait jamais vu d'autres adultes pleurer, à part sa mère. Et ce soir il se demandait si c'était ça être grand, être parent. Si c'était avoir toujours peur ?

- Allez voir mon père, personne ne connaît mieux la forêt que lui, il pourra peut-être vous aider. Je voudrais venir avec vous mais...

- Non, reste ici avec ton petit, avait dit Estelle en regardant le garçon. On comprend, on va aller voir Lucien, hein Louis, peut-être qu'il saura nous aider.

...

Maintenant Henri se souvenait de la dernière fois où il était venu à la cabane. Car après le drame, plus personne ne semblait oser s'approcher des bois. Ils effrayaient tout le monde. C'était une petite ville, il n'était jamais rien arrivé de pire. Lucien venait voir sa fille et Henri. Mais eux n'allaient plus dans la forêt.

De retour dans les bois, Henri prit un long moment pour ranger ses provisions. Il aligna tous ses sachets de graines dans un petit carton et remit son projet de potager à plus tard. Quand il ressortit de la cabane, il regarda vers les arbres... Il y a onze ans, quand la disparition de cette fille avait secoué toute la ville, il avait souvent rêvé d'elle. Alors même que son visage restait flou, il l'imaginait perdue dans la forêt, cherchant son chemin dans le froid. Et quand la neige avait tout recouvert, les gens avaient perdu espoir. Ce Noël-là avait été bien sinistre. Avec sa mère, ils avaient participé à une veillée devant l'église. Tout le monde était venu déposer des fleurs et des bougies pour que, où qu'elle soit, elle sache que beaucoup de gens l'attendaient encore.

Personne ne pensait qu'elle avait disparu volontairement. Personne ne pensait que qui que ce soit en ville ait pu lui faire du mal. Elle avait été emportée par l'inconnu. Parce que plus rien n'était sûr, les bois étaient telle une maison hantée qu'on contourne sans jamais y entrer. Sur son téléphone, tandis qu'il avait commencé à chercher comment créer son potager sur internet, Henri eu une pulsion de curiosité morbide, il avait envie de se souvenir du visage de cette jeune fille...

Et quand il écrivit les mots clés pour trouver les articles qui parlaient d'elle, qu'il cliqua sur le premier lien, le choc fut tel qu'il en lâcha son téléphone.

Mia Martinez, disparue le 19 Novembre 20xx à l'âge de 20 ans.

C'était elle.

La fille de ses souvenirs.

La fille disparue.

La fille qu'il avait vu dans les bois cette nuit.

Sauf qu'onze années étaient passées entre la photo et sa rencontre nocturne et pourtant malgré la pénombre, la panique, il avait vu son visage, il en était certain. Elle n'avait absolument pas changé.

Et son cœur recommença à s'emballer. Il lui fallait une explication, il avait besoin de comprendre. Comment était-ce possible ? Il n'était pas fou, elle l'avait touché, il sentait encore la pression de sa main froide sur la sienne. Il revoyait le nuage de vapeur s'échapper de sa bouche.

Et là, il réalisa. Comment pouvait-elle expirer cette vapeur alors qu'il devait faire pas loin de 15° la nuit dernière ? Elle avait exhalé comme en plein hiver, c'était inexplicable ! Henri retourna à l'intérieur, il alla s'asseoir sur le bord de son lit, les mains accrochées, il essayait de remettre de l'ordre dans ses idées. Devenait-il cinglé tout seul ici ?

Il ramassa son téléphone et le déposa à côté de lui sans plus le regarder. Assit sur le bord de son lit, hagard. Et alors que le soleil envoyait ses rayons par la fenêtre, une ombre s'interposa. Le jeune homme leva la tête et revit le mirage, l'apparition inexpliquée, inexplicable. Mia se tenait debout derrière la fenêtre. Les cheveux emmêlés, pleins de brindilles et de feuilles mortes, le visage tuméfié et sale. Et une longue traînée de sang coulait de ses cheveux jusqu'aux tempes. Il eu le temps de sentir son souffle se couper avant qu'elle ne s'en aille en courant. Il couru aussi, manquant de trébucher deux fois avant d'atteindre la porte. Elle avait disparu, encore.

Avait-elle seulement existé ?

- Qui est là ? hurla-t-il comme un fou. Dis moi qui tu es !?

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant