Chapitre 1

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Henri atteignit la vieille maison de son grand-père un peu après midi. Ce n'était pas si loin, à peine une heure de route. Elle semblait se faire avaler peu à peu par la forêt. Cachée derrière les fougères, emmêlée dans le lierre, couverte par le saule pleureur. Il la trouvait magnifique. Henri s'était souvenu de l'existence de cette bâtisse il y a deux mois à peine, quand il avait trouvé une photo de la cabane devant laquelle son grand-père, Lucien, posait fièrement. Il l'avait construite de ses mains, non loin de la rivière. Il y avait vécu les quinze dernières années de sa vie.

Deux mois plus tôt, il avait demandé à sa mère quand elle l'avait emmené là bas pour la dernière fois ? Et elle avait répondu "tu sais, je ne me souviens presque pas des fois où on est montés tous les deux en voiture pour aller ailleurs qu'à l'hôpital...".

Pourtant, ils avaient beaucoup roulés tous les deux. Ils avaient vu l'océan, les montagnes, les plaines. Ils avaient visité les musées, les vieilles villes, les monuments. Ils avaient fait la course contre la montre.

Et de tout ces souvenirs qu'ils avaient tenté de se construire ensemble en vivant à mille à l'heure, les meilleurs restaient ces instants anodins, à la maison. Quand Henri était juste un petit garçon normal en train de vivre une vie normale. Ces soirées à écouter la voix de sa mère lui lire les grands classiques de la littérature. Le silence apaisant, chaud et enveloppant de ses câlins tendres avant qu'il ne trouve le sommeil. Le parfum de ses cheveux, des draps fraîchement lavés...

Après avoir traversé la barrière de fougère, Henri se retrouva devant la porte jaune dont la peinture fatiguée se décollait par petits fragments. Elle était fermée par un cadenas rouillé. Sa mère lui avait dit de bien réfléchir, que ce n'était pas un endroit où vivre. Que le toit menaçait de tomber et que l'installation électrique était vétuste. Qu'il ne pourrait peut-être même pas recharger son portable, elle avait besoin de pouvoir lui parler, tous les jours.

Alors il avait acheté une batterie solaire pour son téléphone, promis de le mettre à charger dans la voiture chaque fois qu'il roulerait. Mais il n'avait pas renoncé à son projet de venir vivre ici pendant six mois. Seul. Pour faire connaissance avec le Henri qui a la vie devant lui, pour dire adieu au Henri qui pensait mourir avant ses 18 ans.

Pour faire le deuil de cet organe vacillant qui n'était pas fait pour battre, et qui malgré tout avait lutté jour et nuit pour pomper son sang, pour le maintenir en vie avec toute la force dont il était capable. Il l'avait détesté. Et maintenant, il avait l'impression qu'il lui manquait. Après tout, il était exceptionnel ce cœur. Il n'était pas assez fort pour vivre, mais il l'avait fait. Juste assez.

Il aurait voulu le voir, après. Il aurait voulu lui dire merci.

Et aujourd'hui, Henri ne se sentait pas assez fort... mais il le devait. Pour cet inconnu qui était mort.

Sommes-nous vraiment mort si une part de nous survit ?

Ce cœur est-il le sien ? Peut-il encore décider d'abandonner ou de persévérer ?

La porte résista une longue minute avant de s'ouvrir. Il ferma les yeux et pinça les lèvres pour éviter le nuage de poussière qui s'envola alors que l'air s'engouffrait dans l'habitacle. Personne n'était venu ici depuis six ans. Dès son premier pas, il sentit la vieille odeur de tabac froid, de bois humide, de taule chauffée par le soleil.

Oui, ici, quoi qu'il arrive, il allait vivre.

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant