Chapitre 16

870 172 11
                                    

Henri trouva la cabane vide à son arrivée. Comme s'il y vivait seul, comme si elle n'était pas là quand il était parti ce matin. Et comme la dernière fois qu'elle avait disparue, il sentit cette boule d'angoisse grossir au creux de son estomac. Le jeune homme déchargea la voiture et déposa ses achats sur la table avant de s'attaquer aux tuiles qu'il rangea contre le mur à côté de la porte d'entrée.

Il était revenu depuis presque vingt minutes mais toujours pas de Mia. Était-elle sortie ? Henri prit le temps de se laver les mains pour se débarrasser de la poussière rousse des tuiles avant de quitter la maison pour partir à la recherche de la jeune femme. Il emprunta le sentier qui descendait vers la rivière, le pas rapide. Et son soulagement fut sincère quand il la vit de dos, assise tout en haut du rocher. La scène ressemblait à leur rencontre mystique quand il avait 7 ans, la neige en moins.

- Mia ! appela-t-il, heureux de la retrouver.

Et la jeune femme sursauta plus qu'il s'y attendait. Et quand leurs regards se croisèrent ils comprit qu'elle n'allait pas bien. Elle avait pleuré, ses yeux étaient rouges et son teint terne.

- Henri ! couina-t-elle en pleurant, se hâtant de quitter son rocher pour le rejoindre.

Là, elle couru jusqu'à lui sauter dans les bras sans retenue. Elle pleurait et reniflait en essayant de parler. Car elle avait remarqué qu'il ne comprenait pas ce qu'il se passait.

- Dès que...dès que tu as quitté la maison je me suis retrouvée ici, j'ai cru que je ne te reverrais plus.

- Je ne comprends pas...

- Je n'existe pas quand tu n'es pas là, je...je disparais si tu quittes la forêt.

Henri était toujours aussi perdu, mais Mia retrouvait son calme.

- J'explique pas ce qui nous arrive mais je crois qu'on est plus liés qu'on ne le croît, souffla Mia en s'éloignant d'un pas.

- Comment...

- Je sais pas, je comprends pas plus que toi. Tu es parti et je me suis sentie si seule, si vulnérable. Il faisait à nouveau froid et j'avais si peur.

Pourquoi revenait-elle toujours au rocher, pourquoi ici et pas ailleurs dans la forêt ? Pourquoi seraient-ils liés à ce point tous les deux ? Pourquoi ?

De retour à la cabane, Mia caressait la couverture de ses vieux livres, l'air triste et nostalgique à la fois. Elle en feuilleta certains, retrouva ses marque-pages et ses pages cornées. Et puis, elle s'assit sur la chaise juste à côté de celle d'Henri.

- Maintenant qu'on sait ça je ne m'absenterai plus aussi longtemps, promit-il.

- Je ne me rends pas compte du temps qui passe quand je suis seule Henri.

- Mais moi je m'en rends compte, je te laisserai plus aussi longtemps jusqu'à...

- Jusqu'à quand ? Qu'est ce qu'on va faire ? On ne sait même pas ce qui nous arrive. J'ai l'impression d'être en train de te voler ton temps... alors que le mien est passé.

- Tout le temps que j'ai devant moi c'est du bonus.

- Mais tu n'as pas à faire ça. Est-ce que tu te rends compte qu'on n'est rien l'un pour l'autre, que ça n'a pas de sens ?

Mia voulait que ses mots soient francs, presque durs. Elle voulait qu'il réalise.

- Il y a forcément du sens, c'est juste qu'on ne sait pas encore lequel. On trouvera.

- Tu devrais rentrer chez toi, commença Mia, la voix tremblante. T'éloigner de cette forêt et ne jamais revenir. J'ai eu ma chance mais j'ai fait les mauvais choix. C'est normal que je me retrouve coincée ici. Mais toi, tu as une nouvelle vie, ne la gâche pas.

Elle posa sa main sur celle d'Henri et sentit la chaleur irradiante de sa peau réchauffer la sienne. Henri retourna sa main pour pouvoir refermer ses doigts sur celle de Mia. Et il ne répondit pas. Elle ne comprendrait pas.

Sa vie n'avait aucun sens, il avait l'impression de l'avoir volée. Peut-être que s'il la consacrait à quelque chose de bien, à quelqu'un d'autre... Et puis il ne voulait pas partir, pas maintenant, pas avec ce qu'il savait. Pas sans l'aider.

...

Mia était agenouillée devant la baignoire, occupée à laver à la main tout le linge sale et les nouvelles pièces achetées par Henri. Elle était contente de tout ce qu'il avait choisi. Il n'avait rien oublié, il avait aussi pris une brosse à cheveux, des élastiques et des brosses à dents supplémentaires. Elle découvrit aussi du shampoing et du gel douche alors que lui se contentait d'un gros savon de Marseille. Ce n'était pas compliqué de comprendre qu'Henri était du genre à se soucier davantage de ses proches que de lui-même. Même si elle avait peu connue sa voisine finalement, elle se souvenait que sa mère était comme lui. Généreuse et attentionnée.

Celui-ci s'occupait de nettoyer les tuiles avec une brosse pour les préparer avant de les installer sur le toit. Il n'arrêtait pas de penser à Mia, à son regard quand il l'avait retrouvée tout à l'heure. Il s'en voulait d'être resté en ville si longtemps. Le jeune homme rentra dans la cabane au moment où Mia sortait pour étendre le linge. Elle lui sourit en le croisant, ses cheveux attachés haut sur sa tête en un chignon négligé qui dévoilait son cou. Il remarqua les bleus qui formaient un collier morbide autour de sa gorge et sentit son cœur se briser en une seconde. Il la suivit du regard en essayant de chasser de son esprit les images d'horreur que son imagination créait.

- Je vais t'aider, annonça-t-il en la rattrapant en courant.

Il attrapa la panière de linge mouillé pour la porter et passa devant pour écraser les hautes herbes et ouvrir la voie.

Une fois arrivés au fil à linge tendu entre deux grands cerisiers, il remarquèrent non sans en rire que Mia était trop petite pour l'atteindre. Elle souffla, faussement agacée, en rebroussant chemin pour aller se chercher une chaise sur laquelle monter pour aider Henri.

- Je te trouverai un escabeau la prochaine fois que j'irais en ville, se moqua Henri en la voyant revenir.

- C'est ça moque toi, répondit-elle, en attendant ma mère m'a toujours dit « tout ce qui est petit est mignon » !

- Ah beh on est mignons tous les deux comme ça !

- Ne me fais pas rougir ! rétorqua-t-elle en le regardant par dessus le linge qu'elle venait d'étendre pour lui faire un clin d'œil.

Et puis, alors qu'elle riait, tout d'un coup, elle se tut. Henri regarda vers elle, un peu surpris. Il remarqua alors qu'elle observait la forêt, le regard inquiet.

- Mia ?

- Je...j'ai l'impression que quelqu'un nous observe, je sais pas si c'est dans ma tête...

- Mia, personne ne te vois à part moi, tu ne risques rien, la rassura Henri.

- Mais toi Henri, toi, quelqu'un pourrait te faire du mal.

Elle le regarda, les yeux pleins de larmes qui ne couleraient pas, car déjà elle se forçait à sourire avec douceur en les essuyant furtivement. Henri savait que tous ses sourires n'étaient pas vrais. L'aura sombre et pesante qui suivait sa famille la suivait elle aussi. La douleur se lisait dans ses yeux. Mais Mia semblait avoir affronter plus que la peur, plus que l'incertitude et le deuil. Elle avait vécu plus que ça, peut-être pire que ça. Car, à la douleur, s'ajoutait la lassitude. 

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant