Chapitre 41

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Marchant dans l'obscurité de la nuit, à peine éclairé par sa lampe frontale, Maxime était décidé. Il arracherait tous les arbres de cette forêt si nécessaire, mais l'histoire ne se finirait pas ainsi. Sa pelle en main, son sac sur le dos, il arpentait les bois jusqu'à son plus grand secret. Peu importe que les gens sachent ce qu'il avait fait, qu'ils ne comprennent pas pourquoi, qu'ils l'accusent du pire. Tant qu'ils ne savaient pas où la trouver, elle lui appartenait toujours.

Il avait envisagé de ne jamais revenir mais ses rêves récurrents l'avaient poussé à rentrer. Chaque fois qu'il fermait les yeux ils se retrouvait dans cette foutue forêt, il entendait son rire, il entendait sa voix. Et croyait devenir fou. Il marchait jusqu'à la cabane à la porte jaune. Les rires provenaient de là alors qu'il l'avait cachée à au moins un kilomètre. Et en se rapprochant encore, il entendait sa voix plus clairement. Dans son rêve, il collait presque son visage à la fenêtre et à l'intérieur, elle vivait. Elle riait. Elle aimait. Elle ne le voyait pas. Et il avait beau s'acharner sur cette porte jaune, elle ne s'ouvrait jamais. Comme si c'était lui le mort oublié, en train de pourrir au fond d'un trou dans l'indifférence de tous.

Quand il trouva enfin ce qu'il cherchait, il planta sa pelle dans la terre sèche et laissa son sac tomber sur le sol.

Là, juste là.

Elle était là.

Plus d'un mètre plus bas.

À l'époque il avait porté son corps sans vie jusqu'à ce que ses jambes cèdent à mi-hauteur de cette montée, entre la rivière en contre-bas et la route en haut. Et il avait profité du trou laissé par un grand marronnier tombé à cause d'un orage pour cacher son corps. Il avait creusé le trou, des heures durant. À cet endroit la terre était moins dure, le gel n'avait pas tout à fait solidifié le sol. Et puis, il avait fait rouler Mia jusqu'à ce qu'elle tombe dans la fausse. On aurait dit qu'elle dormait, allongée sur le côté. Alors, il avait balançé la terre, pelletée après pelletée. Recouvrant son visage en dernier.

Il était revenu deux jours plus tard. Et il avait creusé ce trou pour la deuxième fois avec pour objectif d'y verser de la chaux. Il n'avait pas creusé jusqu'à elle, il ne voulait pas la voir après deux jours dans cette tombe sauvage.

Après des semaines, la neige avait tout recouvert et Noël passa sans qu'il ne revienne la voir.

Puis, une nouvelle année commença. Il la pleurait avec ceux qui l'aimaient. Moins que lui, il en était certain. Il pleurait seul aussi. Il pleurait tout le temps.

Et le printemps, enfin.

Il semblait moins doux que les autres. C'est vrai qu'il était moins parfumé. Et cette année, les jonquilles ne fleurirent pas. Celles qui poussaient toujours autour des ruines, derrière la carcasse de voiture. Celles qui embellissaient tout de leur jolie couleur jaune pâle, jaune vif... Elles ne vinrent plus jamais. Cette terre n'était-elle plus assez belle pour elles ? Ou les yeux qui les attendaient ne les méritaient-ils plus ?

C'est coupable qu'il grimpa dans la forêt après avoir passé la rivière. Le moulin était vêtu de son tapis de pâquerettes qui lui donnait un air majestueux, comme s'il était l'entrée d'un paysage de conte de fée. Ils s'étaient embrassés ici parfois.

Il grimpa entre les arbres en cherchant le marronnier tombé et le trouva rapidement.

Elles étaient là.

Avec elle.

Il sentit ses jambes céder sous son poids devant ce spectacle.

Les jonquilles l'avaient trahi, elles aussi. Poussant sur la tombe sauvage où il avait caché le corps de celle qui les adorait.

Il était souvent revenu ensuite. Il déposait des fleurs quand la saison ne permettait pas qu'elles poussent. Les bouquets se faisaient dévorer par le gel, enterrer par la neige, balayer par le vent, grignoter par la pluie. Ils ne restaient jamais intacts, mais les jonquilles, tous les ans, semblaient braver le vent, la pluie, le temps.

Elles fleurissaient les premières et survivaient des semaines ; comment faisait-elle ça ?

Il revenait cette nuit et ne reviendrait plus jamais. Et en retirant sa première pelletée de terre il se demanda si, au printemps prochain, les jonquilles reviendraient ?

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant