Chapitre 24

809 162 9
                                    


Henri oublia d'avoir peur les premières secondes. Son cœur ne s'emballa pas parce qu'il était en danger mais parce que le faisceau erratique qui le cherchait éclairait le visage de Mia, qui veillait encore à le faire taire. Il sentit la brûlure des ses larmes qui coulaient du coin de ses yeux vers ses tempes. Elle était là, il pouvait respirer à nouveau, Mia était là.

Il entendit les graviers et le bois craquer. Il vit les pieds de l'intrus s'approcher dangereusement de sa cachette. Mia pleurait, elle essayait de ne pas faire de bruit même si l'ombre ne pouvait pas l'entendre, mais elle n'avait pas la force de se retenir. Ce qui lui était arrivé de pire risquait d'arriver à Henri et elle ne pourrait rien pour le protéger si Maxime le trouvait. Déjà, elle se sentait moins ancrée dans le monde d'Henri en la présence de Maxime, sans devenir fantomatique pour autant.

Henri s'efforçait de contrôler sa respiration, car lui risquait de se faire repérer. Mais Maxime ne s'attarda pas longtemps à rechercher d'où venait la voix qu'il avait entendu. Il n'excluait pas, après tout, qu'elle soit sortie de son imaginaire.

Il croyait devenir fou parfois, tant Mia l'obsédait.

Même quand les dernières lueurs de sa lampe disparurent dans les bois et que la nuit redevint silencieuse comme un tombeau, Mia ne laissa pas Henri se relever, elle garda sa main sur sa bouche. La jeune femme était tétanisée. Elle mesurait à quel point Henri comptait en réalisant combien sa peur avait été douloureuse ce soir. Combien elle avait presque égalée celle de cette nuit fatale.

Henri, allongé, sur le dos, trempé et les os douloureux à force de rester couché sur des cailloux, leva doucement la tête pour voir par le trou entre les pierres qu'il n'y avait plus rien à craindre. Maxime était reparti. Le jeune homme leva lentement sa main jusqu'à saisir celle que Mia plaquait sur ses lèvres pour se libérer. Et toujours en douceur, il caressa sa joue, replaça une mèche de ses cheveux pour attirer son attention. Mia, figée, regardait vers là où Maxime avait disparu.

L'ombre avalée par l'obscurité, le démon de ses cauchemars.


- Mia...

- J'ai, commença-t-elle, tremblante. Je suis désolée, je,je voulais rester loin de toi mais...

- Plus jamais, supplia-t-il, ne reste plus jamais loin de moi.


Ils remontèrent jusqu'à la cabane dans un silence pesant, presque à l'aveugle dans la nuit noire. Et si Henri marchait devant, il n'arrêtait pas de se retourner pour vérifier que Mia le suivait toujours. Il devinait sa silhouette floue à la seule lueur de la lune. Quand ils arrivèrent enfin à la porte de la petite cabane, Mia s'arrêta avant d'entrer.


- Henri, murmura-t-elle.

- Mia, je sais que tu te sens bien quand tu es avec moi, pas vrai ?

- Oui, avoua-t-elle la voix cassée.

- Et je me sens bien quand tu es là, c'est pas plus compliqué que ça. Oublie le reste, oublie ce que tu crois devoir faire. Si tu veux rester avec moi, reste.


Il fit un pas vers elle et attrapa son visage entre ses mains dans un élan de courage qu'il ne soupçonnait pas. Et sans plus réfléchir, sans plus hésiter, il déposa un baiser doux mais passionné sur les lèvres glacées de Mia. Il goûta délicatement le sel de ses larmes, la chaleur de son souffle, la fraîcheur de sa peau. Et avec la même douceur, il prit ses mains et en même temps que leurs lèvres se séparaient, il l'entraînait à l'intérieur de leur maison.

Mia était assise dans la baignoire dont l'eau était souillée. Retour à la case départ. Son corps était aussi meurtri que la première fois. Et elle comprenait pourquoi elle gardait les marques de cette nuit-là sur sa peau. Elle s'infligeait ça elle même. Elles étaient les vestiges de l'emprise qu'il avait sur elle, les vestiges de sa culpabilité, de sa peur, de sa honte.

Henri était assis à même le sol, contre le mur, juste à côté de la porte de la salle de bain restée ouverte. Il voulait être là pour Mia mais sans s'imposer, sans lui voler son intimité. Elle l'entendait s'agiter, son pied battait nerveusement le sol et il reniflait parfois.

Le jeune homme repensait à Maxime. Il aurait voulu lui courir après, le jeter au sol et le frapper jusqu'à n'en plus pouvoir. Même s'il se savait trop fragile pour avoir la force de le faire, trop faible pour contenir cette rage, il en crevait d'envie.


- Henri appela Mia, la voix tremblante.

- Je suis là, répondit-il aussitôt.

- Je, ... je me souviens de ce qu'il m'a fait. Quelques zones restent floues, mais c'était bien lui. Je crois qu'il était là pour moi ce soir.


C'était une vérité qu'elle avait cachée, au début. Mais à présent elle ne voulait plus avoir de secrets pour Henri.


- Mia...commença Henri.

- Le mal est fait, le coupa-t-elle, devinant ce qu'il allait dire. Il a déjà gagné, il n'y a rien à faire.

- Je pourrais...

- Henri, je ne te mettrais pas en danger, ni toi ni ma famille. Il les adore mais qui sait ce qu'il serait capable de faire si quelqu'un le confrontait à la vérité. C'est trop tard.


Henri bascula sa tête en arrière, lasse. Il devait bien admettre qu'elle avait raison, en partie. C'était quoi le plan ? Se pointer chez les Martinez et leur dire que Maxime était un psychopathe et un meurtrier ? Avec quelles preuves ? Quelles chances d'être cru ?


- Ils sont sa famille, pleurait Mia. Il m'a tout pris.


Les poings serrés, Henri l'entendait craquer et se sentait si impuissant.


- On pourrait, commença-t-il sans être sûr. On pourrait leur dire que tu es là Mia, tu pourrais leur parler à travers moi ?


Mia ne répondit pas. Elle s'attendait à ce qu'il propose ça. Et elle y avait déjà pensé. Mais elle connaissait son père, l'homme pragmatique et logique. Sa mère n'y croirait pas non plus, ce serait trop douloureux à admettre. Imaginer sa fille morte, enterrée quelque part dans les bois comme un déchet, c'était quelque chose de s'en douter, mais en avoir la confirmation... Et puis Flora, elle ne pourrait jamais accepter que ça soit possible, elle était encore plus sceptique que leur père.


- Je veux juste rester ici avec toi, aussi longtemps que tu voudras de moi, répondit-elle avec douceur.


Mia repensait à ce baiser qui brûlait encore ses lèvres alors que tout son corps tremblait toujours de froid. Elle pensait à ce chemin de feu qu'il avait allumé jusqu'au plus profond de son être. Une flamme incandescente s'était allumée. Elle n'avait jamais connu ça avant. Et c'était la seule certitude qu'il lui restait.

Aussi fou, aussi insensé, aussi impossible que ça puisse paraître. Son cœur fantôme, son âme fantôme, tout ce qu'elle était ou n'était plus aimait Henri.

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant