Prologue

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Il n'est pas donné à tout le monde de naître dans une famille aimante, équilibrée, dont l'avenir est prometteur et certain. Mia se savait chanceuse. Alors même qu'elle était consciente de la réalité, consciente que les autres familles n'étaient pas forcément à l'image de la sienne. Elle se couchait le soir, en se sentant en sécurité. Rien ne pouvait lui arriver.

Mia a disparu il y a onze ans. Et plus personne ne l'a jamais revue.

Ses parents ont toujours cette image en tête, douloureuse et merveilleuse. Celle de leur fille à l'aube de ses vingt ans qui ouvre la porte et se retourne pour leur sourire et leur envoyer un baiser avant de sortir.

"Je reviens dans une heure max' ! " avait-elle promis à sa mère.

"Bien sûr que tout va bien, elle te le dirait sinon !" avait promis un mari à sa femme qui trouvait que le regard de sa fille avait changé.

C'est ainsi qu'une famille idéale sombre dans l'obscurité.

Une mère culpabilise et se met à surprotéger la seule fille qu'il lui reste, au point de l'étouffer, de l'oppresser. Au point de l'obliger à ronger ses liens.

Un père fuit cette maison vide, alors même que sa femme et sa fille cadette y survivent encore. Il rentre le plus tard possible, part le plus tôt possible. Se brise le dos en dormant assis, la tête posée sur son bureau.

Une sœur se sent si insignifiante, si invisible, qu'elle ne sait plus comment parler à ses parents, comment leur demander de s'intéresser un peu à ses problèmes quand une décennie est passée sur l'absence de Mia et que rien n'est plus aussi certain qu'avant.


...


Non loin de là, un autre enfant passe la porte sous le regard de sa mère. C'est une histoire universelle, vieille comme le monde. Les gens s'en vont... et même si on l'oublie, car on oublie toujours que la fin existe, on ne sait jamais si on reverra les gens qu'on laisse partir.

Mais Henri n'a plus peur de la mort. Henri la connaît, elle l'a accompagné depuis son premier souffle. On pourrait dire qu'elle l'a menacé toute sa vie mais il ne voit pas les choses comme ça. Il la voit comme une vieille amie qui lui disait doucement à l'oreille, quand la douleur était trop forte, quand l'anesthésie l'emportait, quand la peur faisait s'emballer son cœur fragile : "je suis là, si ça devient trop difficile, je serai là pour toi".

La mort s'est éloignée, il sait qu'il la reverra, mais les pronostics ne sont plus les mêmes. Car la mort lui a offert une chance de vivre.

Son cœur était malade, son cœur n'était pas assez fort. Aujourd'hui c'est un autre qui bat dans sa poitrine, celui d'un autre.

Henri s'arrêta au moment de passer la porte, son sac sur une seule épaule, la main sur la poignée. Il hésitait, devait-il se retourner pour vérifier que sa mère allait bien au risque de renoncer à partir ? Ou devait-il foncer, monter dans cette voiture et tracer sa route jusqu'à la vieille maison au fond des bois ?

Il avait grandi dans un hôpital. Même si techniquement il avait passé bien plus de temps chez lui que là-bas, il ne se souvenait que de ça. L'odeur, le bruit, le silence... les pleurs de sa mère. Ses sourires forcés qui se voulaient rassurant. La caresse de sa main dans ses cheveux mouillés par ses larmes. Les chuchotements des médecins qui expliquaient à quel point tout était grave.

Grave.

Tout le temps.

Et puis, plus rien.

"Mon tout premier patient greffé vit avec son cœur depuis déjà 17 ans tu sais, maintenant tu as toute la vie devant toi." avait dit le médecin en serrant la main d'Henri après leur dernier entretien.

La vie. Il s'était préparé à tout. Mourir dans son sommeil, mourir dans les bras de sa mère, mourir sans avoir jamais rencontré son père. Mourir sans avoir embrassé, touché, enlacé, aimé une femme. Il était prêt à mourir. Mais rien ne l'avait préparé à vivre.

Henri décida de ne pas se retourner. Il décida d'ignorer les petits sanglots que sa mère essayait de retenir. Et il referma la porte derrière lui.

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant