Chapitre 40

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Les jours passèrent.

Dix.

Vingt.

Trente.

Des semaines, puis un mois, puis deux.

L'été était incroyablement doux, dans cette forêt protectrice, dans ce havre si paisible. Le danger se faisait oublier.

Henri aimait Mia. Mia aimait Henri. Ils vivaient dans leur monde à eux.

Plus personne ne surveillait la maison. Il était clair qu'il avait fui. Après tout ce temps, reviendrait-il ? Si Louis le cherchait, si Louis n'abandonnerait jamais, les amants, eux, commençaient à croire qu'ils avaient gagné. Car jamais le soleil n'avait brillé si fort dans leur paradis volé. Jamais la lune n'avait été si belle. Et Mia revenait à la vie, elle disait ça comme ça. Elle parlait à travers Henri pour rattraper le temps perdu à mentir à sa famille.

Elle se pardonnait.

Les jours de pluie, comme aujourd'hui, ils restaient allongés dans leur lit à écouter l'eau tomber sur le toit. L'odeur de terre chaude frappée par l'averse était incomparable dans ce bois isolé, abandonné de tous. Comme si la forêt leur appartenait, comme s'il ne restait qu'eux sur terre.

Mia avait posé sa tête sur la poitrine d'Henri, elle entendait le battement régulier de son cœur. Et ses doigts descendaient, remontaient, le long de la cicatrice centripède qui fendait sa peau brûlante. Henri jouait avec une mèche de ses longs cheveux, il l'enroulait autour de son indexe puis la déroulait. Et chacun regardait le vide, chacun respirait dans une synchronisation parfaite.

C'était ça.

Ils le savaient.

Ils auraient voulu que cette boucle tourne à l'infini.

Car c'était ça, ce dont tout le monde rêve. Cette ambiance douce, ce goût d'éternité, comme le temps qui s'arrête sur un instant parfait. Sur deux corps nus qui s'accordent, qui se brûlent, qui se connaissent. Sur deux âmes sœurs, plus fortes que le temps et la mort. Sur la seconde exacte entre deux réalités. La seconde exacte ou rien n'existe autour.

Personne ici ne va mourir, la mort n'existe plus. Personne ici ne va souffrir, la douleur n'existe plus. Plus personne ici n'aura peur, le danger n'existe plus. Plus personne ici ne sera seul, ils ne font plus qu'un.

Et pourtant, la terre continue de tourner. Et le monde existe. Les monstres ne disparaissent que si on les terrasse.

Mais n'est-ce pas le propre de l'homme ? Oublier que le danger est partout, qu'il porte parfois le masque d'un ami ? On l'imagine toujours venir de l'ombre, sortir des ténèbres. Comme une créature imaginaire terrifiante. Ne pas le voir, ne le rend pas irréel. Il peut être n'importe où. Au détour d'une rue, autour de la table à Noël. Il peut vous dire je t'aime, il peut frapper sans prévenir.

Il peut se cacher dans un bois abandonné de tous. Il peut se préparer à détruire, piétiner, brûler les paradis perdus des amants maudits.

...

Ces dernières semaines avaient été si intenses, Mia avait beaucoup parlé, Henri aussi par la force des choses. Et tant de secrets avaient été révélés. Si elle les disait à sa famille, il passaient tous par lui d'abord. Combien de fois l'avait-elle vu pleurer ? Combien de fois étaient-ils restés silencieux après, les yeux dans les yeux ?

Mais maintenant que tout le monde savait, ils avaient envie que leurs jours, leurs nuits, ces instants volés, soient bons, soient meilleurs, soient si forts qu'ils écraseraient tout.

C'était facile.

Rien que s'allonger dans l'herbe haute du jardin. La tête d'Henri sur son ventre qui ressent les vibrations de sa voix tandis qu'il lit un de leurs livres préférés.

Rien que la lueur sombre d'un générique de film qu'ils n'auront vu qu'à moitié, trop tentés de s'aimer, de s'appartenir, de se donner.

Rien que l'odeur délicieuse d'un savon qu'on fait mousser entre ses mains pour laver la peau de l'autre sous une douche brûlante.

Rien, mais tout pourtant.

Mia pensait sous le soleil brillant, avec l'air frais qui faisait danser les herbes autour d'elle, bercée par la voix régulière et chaude de son amoureux, qu'elle aurait voulu figer l'instant sur une photo. Mais elle n'y apparaîtrait pas. Et c'était peut-être la condition à ce cadeau incroyable. Le garder secret, ne rien laisser derrière... Car plus personne n'aurait peur de mourir s'ils savaient. Plus personne n'aurait besoin de vivre s'ils savaient.

- Fin, souffla Henri en refermant le roman pour l'abandonner dans l'herbe à côté de lui.

Alors, il roula sur le ventre pour la regarder.

- Tu l'aimes toujours autant ?

- Non, souffla Mia, en souriant.

- Vraiment ?

- Je pensais que c'était la plus belle histoire que j'avais jamais vu avant.

- Et maintenant c'est laquelle ?

- Celle-ci... souffla-t-elle en se redressant pour l'embrasser.

« La nôtre .» continua-t-elle de penser quand il se rapprocha à son tour pour lui voler un baiser plus long.

Si le mystère de cette magie reposait sur le secret, la magie était brisée. Car non loin de là, quelqu'un savait, même s'il ne savait pas tout. Quelqu'un sentait qu'il perdait, qu'il n'avait pas fait encore assez de mal, qu'il n'avait pas brisé encore assez de vies. Il ruminait sa haine à l'idée qu'elle puisse être heureuse après tous ses efforts pour l'en empêcher. Il lui avait dit pourtant, il lui avait dit...

Elle devait le choisir lui.

Lui ou rien.

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant