Chapitre 20

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Ils avaient suivi la rivière jusqu'à pouvoir la traverser pour s'installer sur la rive la plus ensoleillée. Là, sur cette plage de sable entourée de hautes herbes, ils avaient trouvés un cocon de nature qui semblait les attendre depuis toujours. Même si le ciel était dégagé, le soleil haut, il faisait frais aux abords de la forêt. Mia portait un gilet blanc à grosses mailles, un peu vieillot, avec de grandes poches déformées. Et elle laissait les longues manches avaler ses mains pour se tenir chaud. Malgré la fraîcheur, elle se sentait bien. Henri avait ramené une canne à pêche et elle l'avait vu lancer sa ligne sans mettre ni appât ni hameçon.


- Tu saurais tuer un poisson toi ? Parce que moi j'ai même jamais tué une araignée, avoua Henri pour répondre à Mia qui s'étonnait qu'il ne pêche pas pour de vrai.

- Non, j'avoue que moi non plus je n'en serais pas capable.


Et elle l'avait regardé s'adosser, à moitié allongé, à son sac à dos, sa casquette vissée sur sa tête et les prémisses de sa première barbe sur les coins de sa mâchoire. Est-ce qu'elle pourrait rester là pour toujours ? Est-ce qu'il voudrait rester avec elle tout ce temps ?

Il lui avait demandé, un peu avant de partir, si elle arrivait à se souvenir de ce qui s'était passé ce soir là, si elle pensait que c'était bien Maxime le coupable, comme lui le déduisait. Elle avait décelé la haine qui gagnait le jeune homme maintenant qu'il connaissait la vérité. Alors, elle avait menti.

« Non, je ne me souviens de rien.»

Même si tout était là, cette montagne sombre et brumeuse qui aspirait la moindre lumière autour d'elle, elle refusait de replonger dans ses souvenirs. Mais elle savait que viendrait le moment où elle n'aurait plus le choix. Ses murs étaient brisés, ils s'effondraient petit à petit. Et bientôt plus rien ne pourrait retenir la vérité.

La jeune femme regarda Henri, qui la regardait déjà. Il voyait le soleil se refléter dans cette larme discrète. Mia sourit, elle savait qu'il savait. Elle ne pouvait pas faire semblant au point qu'il ne comprenne pas qu'elle cachait encore des choses. Mais il ne disait rien.

Lui aussi avait un secret à présent. C'était un secret pour lui-même autant que pour elle. S'il voulait, plus que tout, aider Mia à trouver la paix, il craignait aussi de la perdre. Son cœur avait beau être incertain, défaillant parfois, il savait faire la différence entre cette pression oppressante dû à l'angoisse et cette sensation de chaleur qui le gagnait depuis qu'elle était là.

Aujourd'hui, sous se soleil radieux dans cette nature sauvage, il entrevoyait le sens de tout ça.

Plus tard, après avoir mangé les sandwichs soigneusement préparés par Mia, il l'observa tandis qu'elle cueillait des fleurs plus haut sur la rive. Elle les empilait en un gros bouquet dans son panier en osier avec l'idée de les faire sécher pour décorer la cabane. Et quand elle revint vers Henri, le ciel était devenu gris. La pluie menaçait.


- On devrait rentrer pour ne pas se prendre l'averse, lança Henri en se relevant.

- Oui, tu as raison !


Il mit son sac sur son dos et, naturellement, il tendit sa main à Mia pour qu'elle la prenne et qu'il l'aide à passer la rivière. Ils arrivèrent à l'entrée du chemin qui menait à la cabane en même temps que les premières gouttes tombèrent. Et Mia sentit qu'il resserrait sa poigne autour de sa main, il avança plus vite et puis, elle se laissa entraîner quand il se mit à courir quelques mètres avant la maison.

Il était trop tard, ils étaient trempés. La cabane n'était qu'à quelques mètres mais Mia s'arrêta et tira le bras d'Henri pour qu'il s'arrête aussi. Elle voulait rire, elle voulait pleurer, elle voulait rester sous la pluie et courir se mettre à l'abri avec lui. Elle se perdait, alors même qu'il s'accrochait à elle, qu'il la tenait par la main et qu'elle sentait son cœur s'emballer à ce simple contact. Elle était dans le noir, toute seule, dans le néant infini. Et s'il ne la sauvait pas...et si elle l'entraînait dans l'obscurité ?


- Mia ? s'interrogea Henri.

- Et maintenant, Henri ? Et maintenant ?


Il vit ses larmes malgré la pluie intense qui tombait sur eux.


- Je voulais juste une bonne journée, une seule bonne journée, je voulais ne pas avoir mal aujourd'hui, je voulais... je ... je ne veux pas te faire de mal Henri.


Il n'avait pas mal. Il avait peur. Pas peur de tout ce qu'il savait à présent. Mais de tout ce qu'il ne savait pas pour après. Il voulait trouver les mots mais rien... car rien n'avait de putain de sens.

Elle était morte, lui aussi quelque part. Elle vivait encore, lui aussi. Et il avait l'impression de n'avoir commencé à vivre que depuis quelques jours seulement. Pouvait-il vraiment l'admettre ? C'était fou, c'était insensé.

Non il n'avait pas mal, il allait enfin bien.

À son tour il tira doucement sur le bras de Mia pour réduire la distance entre leurs corps et il posa sa main sur son visage sans dire un mot. Leurs poitrines se soulevaient dans un rythme synchronisé le temps d'un regard vrai, d'un regard intense. Mia cessa de pleurer, la lumière d'Henri éloignait l'ombre, et elle se laissa enlacer. Mia dans ses bras, sous cette pluie glacée, si c'était possible, il ne la lâcherait jamais.

MinuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant