Victoria Line (T1 de Thistly Heart)

Chapitre 39

Je me redresse et mords dans ma lèvre inférieure pour ne pas lui hurler de dégager de mon pieux. Chris devait être un homme parmi d'autres mais il est devenu un ami. J'aime le fait qu'il se confie à moi et que nous parlons de tout et de rien sans se prendre la tête. 

Amour se permet de surgir entre nous deux. Il ronronne sous les doigts de Chris qui se fraient un chemin dans son pelage gris et blanc tandis que ses yeux me scrutent. Je pourrais encore ignorer sa question et concentrer mon attention sur la boule de poils demandeuse de caresses mais je devine l'agacement de Chris et je ne veux pas faire l'autruche avec lui.

— Ma mère a rencontré mon père alors qu'elle était extrêmement jeune. Elle devait avoir plus ou moins mon âge. Mon père était militaire et avait une permission de deux semaines. La première semaine, il l'a passée auprès de sa famille. La seconde, il a décidé de partir se ressourcer loin de la civilisation. C'était le genre de mecs qui part à l'aventure avec un sac à dos comme seul bagage au dernier moment. Sur ce point, je lui ressemble. Je peux monter une tente seule, faire un feu avec ce que nous prodigue la nature et je peux passer une nuit dehors par n'importe quel temps, rigolé-je me remémorant la nuit glaciale passée aux Glencoe falls. Sur un coup de tête, selon les dires de ma tante Betty, il a pris le pick-up et a roulé jusqu'à Gleann Comhann pour faire le plein et se restaurer. Et c'est ainsi qu'il est entré dans le pub où travaillait ma maman. Il a passé le restant de la semaine auprès d'elle et lui a promis de revenir, ce qu'il a fait.

— C'est une jolie histoire. Pourquoi ne parais-tu pas si heureuse lorsque tu la racontes ? me questionne-t-il.

Je me lève et vais jusqu'au frigo pour en sortir deux bières. Je lui tends la sienne et descends la mienne en plusieurs gorgées.

Je suis en sueur et parler de ça me demande beaucoup d'énergie. Pourtant, je prends sur moi. Je m'installe sur le châssis et observe la circulation à l'extérieur.

— Il est revenu maintes fois en Écosse tombant amoureux à la fois de ma mère et de l'Écosse délaissant Londres et sa famille. Ma mère a appris qu'elle était enceinte alors qu'il était en mission mais elle ne lui a rien dit de peur qu'il ne revienne jamais en Écosse.

— Et que s'est-il passé ? déglutit-il, mal à l'aise.

— Durant cette même mission, son meilleur ami Jonathan Mickaelson a perdu la vie. Il a raconté en larmes à ma mère en rentrant du front qu'il était mort dans ses bras. Alors, lorsque la mère lui a annoncé qu'elle était enceinte de lui, il a déclaré qu'il voulait qu'on appelle son enfant par le surnom de son meilleur ami. Voilà pourquoi j'ai un prénom si atypique pour une fille...

Il me renvoie mon sourire et vient se coller dans mon dos. Je le sens tout contre moi. Ses mains recouvrent mon ventre. Son souffle chaud frôle mon cou. Et sa bouche embrasse ma nuque.

— Un étrange prénom pour une mystérieuse femme, susurre-t-il.

Je frisonne et je le sens sourire contre ma peau à cause de ma réaction. Son sourire, bizarrement, me fait penser à celui que mon père affiche sur l'un des nombreux clichés qui se trouvent chez moi, en Écosse.

Je me retourne et rencontre son regard suspicieux. Mes doigts effleurent ses lèvres. Il est ma thérapie.

Il prend ma tête en coupe et m'embrasse du bout des lèvres mais je romps le baiser en détournant mon attention vers la rue qui ne désemplit pas malgré la chaleur étouffante.

— Le mois qui a suivi, mon père est reparti au front. Il a envoyé plusieurs lettres à ma mère qu'elle garde aujourd'hui précieusement. Tout devait bien se passer durant une simple mission de routine, mais ils sont tombés sur une mine. La Jeep qu'il conduisait à exploser à quelques mètres de la ville dans laquelle ils devaient s'arrêter pour apporter des vivres aux locaux. Les locaux savaient que les bombes se trouvaient là mais ils n'ont rien fait pour avertir l'armée anglaise qui leur venait en aide !