Chapitre 32

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Je ris de plus belle.

Harry continue de se moquer de moi. Il secoue la tête dans tous les sens, léchant exagérément ses lèvres. Dans une tentative d'imitation, il chantonne Waterfalls d'une voix atrocement aiguë.

— Je chantais ainsi ?

— Non ! Bien sûr que non ! C'était pire, mais tu as le mérite de réchauffer l'ambiance ! plaisante-t-il.

Il m'empoigne sous son bras avant de m'embrasser le sommet du crâne. Calée de la sorte, je jette un œil vers les banquettes.

Chris est toujours là. Attablé et totalement concentré sur son ordinateur.

Mon regard en direction de l'homme de la Victoria Line n'échappe pas au grand tatoué.

— Peut-être que tu devrais lui accorder une chance ?

— Au fait, des nouvelles de Mary ? lui demandé-je, optant pour un sujet encore plus délicat.

Il soupire, fourrage sa chevelure et plonge la tête la première dans le travail.

Quelques clients sur le départ paient leurs consommations. Mon patron leur souhaite une bonne fin de soirée sans un sourire.

Aye. J'abandonne. T'as vraiment un cœur d'artichaut !

— Qu'est-ce que tu me bassines ? se renfrogne-t-il. Moi, un cœur d'artichaut ?

Je pose ma main à l'endroit où son rythme cardiaque s'intensifie. Sous son pectoral gauche. Les battements redoublent alors que son regard s'assombrit, voilé par le chagrin et la colère.

Je romps aussitôt le contact entre ma paume et son t-shirt, mais il reprend mes doigts pour les remettre sur son torse.

Ses pupilles ancrées dans les miennes, je comprends ce qu'il me confie sans un mot. Je lis dans ses iris verts la tempête qui fait rage. Les souvenirs d'un bonheur passé. Le deuil d'un amour sincère. Puis l'amertume. Marianne l'a détruit.

« Mon cœur bat sans vraiment battre... ». C'est ce qu'il m'a dit entre deux hoquets après qu'elle l'ait quitté. Sur le moment, j'étais restée interdite. Je n'avais pas saisi le sens de ses mots.

Aujourd'hui, je la perçois, cette crise cardiaque imputée par un chagrin d'amour.

Le cœur ne s'arrête pas. Il continue de se fatiguer bien que l'être n'en ait plus l'impression. Assurant sa fonction vitale, chacune de ses palpitations se transforme en un coup de poignard.

Une larme échappe à Harry. Une seule et unique. Elle roule sur sa joue avant d'atterrir sur le dos de ma main qu'il porte à ses lèvres. Il baise délicatement l'intérieur de mon poignet.

— Tu es ma seule famille, tu le sais ? Je n'ai pas besoin d'elle dans ma vie.

Sa question qui sonne dans sa bouche comme une vérité fondée me bouleverse. J'ai longtemps cru que ma famille se résumait à ma mère et ma tante, mais j'avais tort. Certains amis peuvent occuper une place si essentielle dans notre existence que les frontières de l'amitié s'en voient brouillées.

Harry n'est pas de mon sang. Pourtant, il donnerait sa vie pour la mienne.

— Est-ce que je pourrais avoir une autre bière ? nous interrompt l'homme de la Victoria Line.

S'il vous plaît ?

Harry relâche ma main, m'adressant un regard confiant. Il file en salle pour assurer le service.

Je m'occupe de remplir le verre vide de Chris. Celui-ci affiche toujours sa tête des mauvais jours, l'expression maussade d'un ours qui n'a pas hiberné durant l'hiver. Mon numéro n'a pas dû lui faire effet !

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant