Victoria Line (T1 de Thistly Heart)

Chapitre 16

Mercredi, 28 mars 2017

— Encore toi !? m'exclamé-je, faussement exaspérée.

Chris rit dans sa barbe. Il dépose son attaché-case sur le zinc du bar avant de l'ouvrir et d'en sortir une enveloppe cartonnée.

Je suis étonnée de le voir ici, encore un soir de semaine.

— J'adore être accueilli de cette manière, lance-t-il à Harry.

Celui-ci nous regarde, un sourire au coin des lèvres. Il justifie mon attitude désagréable avec la clientèle par mon caractère de cochon. Par vengeance, je le frappe à coups de torchon tandis qu'il s'enfuit pour apporter des bières à Jack et Barry.

Ce soir, il n'y a personne, excepté les clients fidèles et Chris.

Je prépare à l'avocat un snakebite et m'assois à côté de lui. Plongé dans la lecture de son document, il ne me prête déjà plus attention. D'ailleurs, il ne s'est même pas aperçu du verre déposé devant lui. Je le fixe longuement, espérant qu'il me remarque enfin, mais il ne sourcille pas. Il est bien trop absorbé par son travail.

Je me rappelle de sa confidence lors de sa première soirée passée au pub. Il m'a dit avoir besoin d'une pause, et je compte lui en accorder une ce soir. D'un geste vif, je lui arrache les feuilles qu'il lisait.

— Jo ! Ces dossiers doivent rester confidentiels. Rends-les-moi, s'il te plaît.

— À une condition, Monsieur l'Avocat !

Je joue des sourcils, taquine. Il lève les yeux au ciel, mais cela n'atténue pas mon besoin de le titiller. Je lui tire la langue alors qu'il essaie de s'emparer de l'enveloppe.

— Quelle est cette condition ? lâche-t-il, désemparé.

— Je te les donne sans broncher si tu les ranges sagement, et tu ne dois pas les regarder jusqu'à demain matin.

Il grimace, mais accepte le compromis. Il reprend ses papiers et les replace correctement dans son attaché-case. Il voit enfin le verre que je lui ai servi et me remercie avant d'en boire une gorgée.

Je lui donne un coup d'épaule.

— Quoi ? me demande-t-il.

— Que me vaut l'honneur de te voir aujourd'hui soir ? Tu ne devrais pas être auprès de ta femme et de ton enfant ?

— Tu essaies de me psychanalyser ?

Je hausse les épaules. Je ne peux me retenir d'analyser les gens. Parfois, je le fais sans m'en rendre compte, mais ici, je veux simplement savoir pourquoi il est là.

Si je souhaite le conquérir, je vais devoir y aller progressivement. Il n'est pas homme à s'abandonner dans les bras de n'importe quelle femme. De plus, il est marié. Son alliance qu'il touche nerveusement semble vouloir me le rappeler à tout prix.

Il suit mon regard sur son annulaire et me sourit timidement. Il arrête aussitôt son toc nerveux et boit plusieurs gorgées pour se donner une certaine contenance. Il fait glisser d'un geste de la main son verre jusqu'à ma main.

— Je ne suis pas le seul à avoir besoin d'une pause si j'en juge les énormes cernes qui soulignent ton regard, me rétorque-t-il.

Je ne réponds rien et bois à son verre. Dire que je suis épuisée serait un doux euphémisme. Je suis morte de fatigue.

Jongler entre les cours, le boulot et la vie personnelle me tue. Il n'existe pas encore de mode d'emploi pour expliquer comment gagner du temps et de l'argent plus facilement, tout en ayant une vie estudiantine. En ce moment, ma vie personnelle me bouffe toute mon énergie.