Chapitre 6

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Dimanche, 12 mars 2017

Je mords l'asphalte à la vitesse grand V. Mes baskets battent le bitume craquelé. Mes poumons brûlent dans ma cage thoracique alors que mon front dégouline de sueur.

Cependant, je ne m'arrête pas. Mon jogging plus que matinal, avec le volume poussé au maximum dans les oreilles, me fait un bien fou. J'ai l'impression que rien ne peut m'atteindre.

Le jour se lève à peine. Les premières lueurs du soleil percent dans le ciel, annonçant une belle journée, et le trop-plein d'énergie avec lequel je m'étais levée s'évanouit dans les foulées.

Aucun homme n'a réchauffé mon lit cette nuit. Aucun ne s'est dévoué ce matin pour évacuer cette tension qui croît en moi.

J'aurais peut-être dû appeler le barman... Reste à savoir où j'ai fourré le post-it avec son numéro, si ce n'est pas à la poubelle !

La nuit m'a semblé longue, peuplée de rêves étranges et d'insomnies. Je n'ai dormi que très peu d'heures, et à peine ai-je réussi à fermer un œil que le réveil a sonné. Amour était autant fatigué que moi après la nuit qu'il a passée à me regarder récurer les sanitaires, armée d'une brosse à dents. Résultat, l'inox de la cuisine n'a jamais autant brillé !

Lorsque je suis agitée, le nettoyage se convertit en un remède miracle. Il me permet d'oublier ma nervosité une minute, le temps que les tourments reprennent possession de mon esprit. Mon appartement est désormais propre et ordonné. Rien ne traîne, et on pourrait presque reproduire la scène mythique de Risky Business* sur mon parquet ciré si mon appartement n'était pas aussi exigu !

En revanche, je paie les conséquences de mon manque de sommeil. J'affiche la tête des mauvais jours. Celle qu'un zombie affamé arborerait ! Les poches bleues qui soulignent mon regard ne sont pas des plus glamours. Heureusement, la course donne quelques rougeurs à mes joues pâles.

Incapable de récupérer mon souffle à cause de mon accélération, je ralentis le pas pour débuter les étirements. Je repousse de la main les mèches de cheveux collées sur mon front et refais ma demi-queue de cheval alors qu'un joggeur emprunte mon allée.

Je plisse les yeux, croyant encore rêver. Je n'hallucine pas.

C'est bien LUI.

Il a hanté mes songes, a maltraité ma libido, et le voilà en train de courir dans ma direction !

L'homme de la Victoria Line.

Le papa du petit Jamie. Vêtu d'un simple jogging gris et d'un sweatshirt bleu marine.

Je m'incline, le pied droit en avant et les mains posées sur un banc, pour étirer mes mollets douloureux. Mon regard ne quitte pas le bel inconnu en plein effort physique, mais je le vois hésiter en passant à côté d'un embranchement. Lui aussi semble m'avoir reconnue.

Il n'oserait pas m'éviter ?

Il se ravise au risque de paraître malpoli. Quand il arrive à ma hauteur, je me penche davantage vers l'avant, m'arc-boutant. Je devine mon postérieur parfaitement moulé dans le legging de yoga.

Moi, allumeuse ?

Je suis plus déstabilisée que l'homme de la Victoria Line ne le paraît. Ma respiration se coupe tandis que mes dents se plantent dans ma lèvre inférieure pour m'empêcher de baver. Il est décoiffé et a les joues rougies par l'effort. Il me lorgne du coin de l'œil alors que ses lèvres articulent quelque chose, ponctué d'un hochement de la tête.

Il aurait décidé de se montrer courtois ?

Je réponds à son bonjour dans un murmure essoufflé et le gratifie d'une dernière œillade avant de partir dans la direction opposée.

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant