Chapitre 9

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Les minutes défilent sans que je ne les voie passer. Je jette quelques coups d'œil à Chris qui semble patienter gentiment. Il m'offre un sourire ravageur et s'assoit devant l'évier avec son verre vide.

Les snakebite font visiblement effet. Ses yeux brillent alors que ses joues sont rougies.

— Jamie va bien ?

— Ça va. À cette heure-ci, il doit être en train de dormir, s'il ne m'attend pas dans le fauteuil près de la porte d'entrée.

Je dépose les verres lavés sur l'égouttoir, fascinée par le bonheur dont il irradie lorsqu'il évoque son fils. Il en est mordu. Un vrai papa gâteau.


Il est où ton papa ?

Je ne prononce aucun mot, mâche le chewing-gum que Maman m'a donné avant que je ne quitte la maison.

Si je regarde ailleurs, ils abandonneront leurs questions.

Il fait quoi, ton papa ? Il est où ? Il vous a abandonnées, ta mère et toi ?

Ainsley me bouscule pour que je lui réponde, mais je fais comme Maman me l'a appris. Je l'ignore. Il éclate la bulle de mon chewing-gum, ce qui m'énerve davantage. Il n'a pas à toucher mon chewing-gum, c'est dégueulasse !

Alors t'as perdu ta langue comme t'as perdu ton pa-pa ?

J'ai maintenant envie de pleurer.

Hillary glousse, fière de sa question. C'est trop facile pour elle... 

Son papa vient la chercher tous les jours à la sortie de l'école, et chaque jour, je suis jalouse de voir son beau cartable porté par son papa. Celui-ci lui donne toujours la main sur le chemin du retour, alors que, moi, je dois retourner seule car Maman travaille.

Tu sais ce que ma maman dit ?

Je secoue la tête, et naïvement, je demande ce qu'elle lui dit.

Elle dit que ton papa a préféré mourir que vivre dans un trou pourri avec une salope barmaid et élever un avorton !

Les larmes coulent sur mes joues.

Maman répète que la violence ne règle pas les problèmes, mais c'est faux. Si je les frappe, ils ont peur de moi. S'ils ont peur de moi, ils me laissent tranquille.

J'attrape Hillary par les cheveux, tire dessus et lui en arrache une touffe. Elle crie et s'enfuit en sanglotant. Ainsley rigole toujours, mais ses rires cessent dès que je me jette sur lui. Il tombe par terre. Je le roue de coups, la vue brouillée par mes pleurs, avant d'être tirée par le col de mon manteau.

La bagarre est parfois la seule solution.

Je chasse les mauvais souvenirs datant de la cour de récré pour me focaliser sur le sourire de Chris. Tout le monde n'a pas la chance de bénéficier de la présence d'un père.

— Est-ce que je peux me permettre de vous demander pourquoi vous n'êtes pas auprès de lui à une heure si tardive ?

Il vide son verre cul sec, et je pense sérieusement que je vais devoir le ramasser en fin de soirée à la petite cuillère s'il continue de boire ainsi. Encore un client de plus à rentrer en taxi !

— Il faut bien parfois s'autoriser des pauses, me répond-il.

— Les pauses procurent un bien fou, tant qu'elles ne deviennent pas répétées au point qu'on s'y perde totalement...

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant