Chapitre 29

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Je fixe la copie d'examens, les pensées sens dessus dessous.

Lola me considère, l'air soucieux. Elle a des raisons de s'inquiéter. Je suis à deux doigts de la crise de nerfs.

En trois ans, je n'ai jamais écopé d'un échec. Aujourd'hui est une première. Le chiffre en-dessous de la moyenne me nargue, et les remarques accablantes du professeur marqués dans la marge m'enfoncent davantage au fond du trou.

Comment ai-je pu rater ce partiel ? D'habitude, je réussis tout ce que j'entreprends.

— Ça ne peut pas être ma copie !

Pourtant, le nom indiqué dans le coin supérieur gauche est bien le mien. C'est aussi mon écriture.

Je ne peux pas nier l'évidence. J'ai lamentablement échoué cette épreuve pour le cours de Neurosciences affectives.

Pourvu que le professeur se soit trompé dans le calcul du total... J'additionne rapidement les barres inscrites à l'encre rouge. Elles excèdent le nombre autorisé de fautes, et le long commentaire en bas de page estime que mon propos décousu ne répond pas à la consigne.

Les 46 % écrits grossièrement me narguent.

— Montre-moi ta copie. Cela ne doit pas être si dramatique, essaie de me rassurer Lola.

À l'instant, j'ai envie de l'étrangler. Elle n'évalue pas la gravité d'une note négative.

Je ne peux pas, ni ne dois rater.

Une année supplémentaire à la fac ouvrirait une brèche dans notre budget financier à ma mère et moi. Les allocations d'études nous permettent à peine de sortir la tête hors de l'eau. Le minerval nous tombe dessus en septembre comme un coup de massue.

L'expression sereine de Lola vire à la surprise dès qu'elle découvre le pourcentage.

Moi, Jo Winsley, j'essuie mon premier échec.

— Je ne comprends pas. Tu n'arrêtes pas d'étudier. En fait, tu dois être la fille la plus intelligente et travailleuse que je connaisse, tente-t-elle de me réconforter.

Elle me rend ma copie que je rêve de déchirer.

— Il faut croire que je ne suis pas assez intelligente !

La veille de l'épreuve, je n'ai quasiment pas fermé l'œil de la nuit. Je récitais même dans un état semi-comateux le chapitre étudié.

— Ça ne sert à rien de dramatiser, Jo. À tout problème existe sa solution.

Au lieu de s'offusquer de mon comportement, Lola tente tant bien que mal de me calmer. Elle passe une main dans mon dos.

Scott, assis en contrebas dans l'amphithéâtre, l'interroge du regard. Il comprend à mon expression meurtrière que ma note est tout sauf positive.

— Demande à Lawinski ce qui n'a pas été, m'encourage la pin-up.

Je patiente ainsi jusqu'à la fin du cours, durant deux heures interminables.

J'attends que tous les étudiants aient évacué l'auditoire pour remettre ma copie d'examen au professeur. Après avoir effacé le tableau, il me remarque enfin.

— Il y a un souci, Miss Winsley ?

— Je ne comprends pas mes résultats.

Il relit la feuille qu'il a pourtant corrigée, mais il semble étonné comme s'il la découvrait pour la première fois. Il hoche la tête plusieurs fois avant d'ôter ses lunettes.

— Vous pouvez me lire la consigne, s'il vous plaît ?

— Euh... Oui, accepté-je, interloquée. « À l'aide de vos connaissances et d'exemples personnels, montrer pourquoi exprimer ses émotions apaiserait une partie du cerveau. Quand parlons-nous d'inhibition des émotions ? Développez. ».

— Est-ce que vous pensez l'avoir comprise ?

Ses lunettes retrouvent le bout de son nez pendant qu'il m'étudie derrière ses verres épais.

— Oui. Allan Shore a démontré que lorsque les adultes aident les enfants à comprendre leurs émotions, le cerveau de ces derniers, plus précisément leur cortex frontal et leur cortex orbitofrontal, connaît un meilleur développement.

— La théorie, vous la connaissez. Je n'en doute pas, Miss Winsley, m'interrompt-il.

— Dans le cas inverse, nous parlons d'inhibition des émotions. L'enfant refoule ses émotions, se sent humilié ou incompris. Une fois adulte, il ne parvient pas à établir des relations sociales avec autrui, faire des choix, aimer, gérer ses émotions et avoir un sens moral et un sens éthique...

— Et selon l'OMS, 90 % à 95 % des enfants dans le monde entier sont maltraités verbalement et physiquement ! m'arrête-il dans ma lancée, devinant la fin de mon résumé. Vous répondez partiellement aux questions. Je demandais que la théorie soit illustrée par des exemples concrets.

— Des exemples ?

— Oui, des exemples qui pourraient, par ailleurs, faire l'objet d'une étude de cas dans le cadre de votre thèse l'année prochaine.

J'acquiesce. La déception me gagne.

Pour ce qui est du mémoire, je n'ai toujours pas cherché de promoteur, et je n'ai aucune idée du sujet que je souhaite traiter. Je suis tout simplement perdue.

Appuyé contre son bureau, mon prof jette de nouveau un œil sur ma copie. Non sans grimacer.

— En soi, ce n'est pas un mauvais examen. La formulation est certes maladroite, et le point de vue adopté trop conceptuel, mais vous évoquez brièvement un cas intéressant. L'absence de l'un des parents dans la vie de l'enfant a des répercussions émotionnelles non négligeables.

Ma gorge se serre. Tout d'un coup, je peine à respirer.

Le sujet abordé devient personnel. Je préfère qu'il juge incohérent l'enchaînement des idées et qu'il critique ma connaissance de l'anglais. Que de s'épancher sur la théorie de l'attachement ou que sais-je !

— Si vous aviez développé cet exemple, peut-être que vous auriez eu au moins la moyenne.

Il croise les bras sur son torse après avoir posé ma copie sur son bureau. Bien qu'il reste professionnel, son sourire compatissant effrite son masque imperturbable d'enseignant.

— Je ne devrais pas vous dire cela, mais vous êtes l'une de mes plus brillantes étudiantes. Je vous conseille de vous accrocher malgré les distractions et les baisses de régime. Cette note n'est pas représentative des efforts que vous fournissez. Et réfléchissez bien au sujet de votre thèse. Vous avez effleuré quelque chose d'intéressant dans votre copie !

Je hoche la tête et le remercie.

Une fois dehors, les larmes me montent aux yeux. Je fonds en sanglots sur les marches de l'entrée de la faculté, tout en jurant en gaélique.

Le poids dans ma poitrine n'est pas près de s'envoler. Il me compresse le diaphragme et m'empêche de respirer sereinement.

Et le sms envoyé il y a deux minutes par Chris n'arrange rien à mon état.

[Un verre, dimanche soir ? Juste toi et moi ?]

Les paroles de Lawinski me reviennent en tête. Il faut que j'éloigne toute distraction.

Et Chris se situe en haut de la liste des distractions.

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant